Rentrée 2002 : la tendance est à la baisse.
Article du Collectif publié dans les Dernières Nouvelles d'Alsace du 2 septembre 2002 sous la signature de Jacques Chouraki




En fin de primaire, vos enfants ne sauront plus diviser ni conjuguer.

La division, le passé simple, un bon nombre des verbes, pourtant fréquents, du troisième groupe disparaissent des programmes du CM2. Il est interdit aux enseignants de faire mémoriser les conjugaisons et les tables par exercices systématiques (voir tableau comparatif des programmes de français au primaire qui a été fait par "Sauver les lettres" sur le site : http://www.sauv.net/prim_langue.htm). Ces deux mesures font partie des nouveautés de la rentrée. Mais elles sont en parfait accord avec d’autres, un peu plus anciennes, comme le net recul de la démonstration en maths au collège et la quasi-disparition de la notion de théorème.

Ces suppressions accentueront un appauvrissement des connaissances de base indispensables comme la maîtrise des quatre opérations et des conjugaisons en fin de primaire par exemple. Mais elles auront un effet encore plus absurde : elles mettront les enfants arrivant au collège en difficulté au tout début de l’année. En effet, dès les huit premières heures de géographie, le programme de 6ème exige que les élèves comprennent ce qu’est une densité de population et le rapport entre celle-ci et la richesse d’une région, ce qui nécessite la maîtrise du mécanisme et du sens de la division.

En français, l’étude du conte constitue un des éléments importants du programme et l’un des premiers sujets de devoir est la rédaction d’une suite de conte, qu’on ne peut pas écrire sans employer le passé simple. L’échec sera inévitable, surtout pour les enfants pouvant difficilement être aidés par leurs parents. En maths, le manque d’entraînement à la démonstration au collège gênera les élèves à leur arrivée au lycée, surtout s’ils choisissent une orientation en première scientifique. Or, les dernières réductions d’horaires et de programmes au collège et au lycée ont déjà abaissé même le niveau des élèves, pourtant sévèrement sélectionnés, des classes préparatoires scientifiques.

On pourrait répondre en disant qu’il suffit d’enseigner au collège le passé simple et la division, et au lycée la démonstration. Mais certains apprentissages fondamentaux, sous peine de ne pouvoir être bien assimilés plus tard, doivent impérativement être effectués au primaire, à l’âge où les enfants aiment imiter et répéter. Par ailleurs, il faut rompre d’urgence avec l’absurdité des dernières réformes reportant constamment au cycle suivant les acquisitions de base. C’est d’autant plus nécessaire qu’enseigner au collège le vocabulaire, les tables, les conjugaisons qui n’ont pas été vus au primaire supposerait un alourdissement des programmes, surtout au collège, alors que les horaires de français et de maths ne cessent d’y diminuer. En français, cette diminution touche d’ailleurs aussi l’école primaire.



La régression des horaires est générale.

Pour en prendre la mesure, voici quelques chiffres.

A l’école, on est passé de 15 heures par semaine de français en C.P. en 1967 à 10 en 2002.

Au collège, avant la réforme Haby (en 1975), les élèves de 6ème avaient 6 heures de français : trois en classe entière et trois en demi-groupe. A la rentrée 2002, ils n’en auront plus que 4,5 dont seulement une demi-heure en demi-groupe. Ils ont donc perdu l’essentiel des séances qui permettaient un suivi individualisé de leur travail écrit.

L’application de la réforme Lang, poursuivie par Luc Ferry va aussi entraîner une réduction en 4ème et en 3ème. Des heures seront enlevées aux enseignements communs, essentiellement en maths et en français, pour permettre aux élèves de participer à des séances appelées itinéraires de découverte. Les enseignants pourront utiliser ce temps, (pendant lequel les élèves seront regroupés autrement que dans leurs classes habituelles) soit pour faire des activités qui servent à l’apprentissage de connaissances, soit pour occuper les enfants à des réalisations qui relèvent plutôt du centre de loisirs que de l’école. Il est question dans les recommandations officielles aussi bien de maquettes de château-fort et de défilés de mode médiévale que de dossiers sur la Renaissance et l’Humanisme. On substitue donc à l’apprentissage des connaissances indispensables des à activités dont les unes se présentent comme ludiques voire superflues et les autres comme des projets trop ambitieux qui supposent acquis ce que l’on n’apprendra plus.

Ces itinéraires de découverte ont deux inconvénients essentiels. D’abord ils retirent au travail scolaire 72 heures par an, ce qui revient presque à un mois sur l’année. Ensuite, ils vont aggraver l’inégalité entre les collèges. Il est probable que les établissements réputés vont orienter ces itinéraires de découverte vers le savoir et les connaissances et que ceux qui se situent dans des zones difficiles auront tendance à proposer plutôt des activités de type loisir. Au bout du compte, les élèves n’auront pas bénéficié du même niveau d’enseignement.

Les élèves de 6ème, eux, voient leur horaire hebdomadaire réduit purement et simplement.

Pourquoi cette tendance, déjà ancienne à la réduction des horaires ? Elle est liée à une politique de massification de l’enseignement secondaire sans augmentation proportionnelle du budget de l’Education Nationale. Ainsi, de 1960 à 1992, le budget de l’E.N. en % du P.I.B. a augmenté de 7.2 point (rapport Attali). Pendant le même temps les effectifs dans le secondaire ont augmenté de 66% (André Robert : « Système éducatif et réformes »). La solution a consisté (entre autres) à augmenter les effectifs des classes et à diminuer les horaires. Les enfants d’aujourd’hui, dont on dit qu’ils ont plus de difficultés, ne serait-ce qu’à cause de la diversité sociale des publics, sont donc scolarisés dans des conditions matérielles moins bonnes que ceux des années 60, période du « baby-boom » qui avait pourtant demandé d’importants investissements et recrutements.

Si l’on ajoute à cette régression quantitative la modification qui a eu lieu parallèlement dans la qualité du contenu des cours, et de la formation des enseignants (par de graves modifications des concours et par l’emprise néfaste des IUFM), on peut penser avoir trouvé une des causes du tristement célèbre échec scolaire.



L’échec scolaire : causes avouables et inavouables

Les chiffres que l‘on vient de citer montrent comment les réformes successives ont, d’un point de vue quantitatif, dégradé les conditions de travail des élèves. Toutefois ces réformes ont également amené des modifications qui ont nui à la qualité de l’enseignement, donc au niveau des élèves.

La raison déclarée des réformes était peut-être de créer une nouvelle façon d’apprendre, en rupture avec « l’école de papa », dénoncée comme ennuyeuse, trop rigide et trop élitiste. Héritage de mai 68, ces réformes ont, depuis 1975, sous le ministère de René Haby, prôné « la non-directivité, l’éducation au choix », privilégiant les méthodes synthétiques et ludiques. Mais ceci a été fait au détriment de l’analyse et du temps de l’apprentissage. La méthode de lecture globale ou semi-globale imposée aux instituteurs et unique méthode enseignée en IUFM est un exemple de ce type de pratique. Or la dyslexie massive qui épargne les pays recourant à la méthode syllabique (même quand ils apprennent en français à lire aux enfants) semble s’être étonnamment répandue en France depuis que cette méthode a été généralisée, comme l’analysent une orthophoniste, Colette OUZILOU dans un livre paru l’an dernier : « La dyslexie, une vraie-fausse épidémie » et une psychologue spécialiste de l’écriture Liliane LURÇAT dans un ouvrage de 1998 « La destruction de l’école élémentaire et ses penseurs »).

On a peut-être confondu des savoirs (qu’aucun enfant dans aucune civilisation n’a jamais pu acquérir sans une certaine durée permettant des répétitions fréquentes et régulières ni sans effort personnel) avec des potentialités (que l’école aurait pu exploiter pour l’apprentissage). Car on constate que, d’une manière générale, l’enfant est considéré, non pas comme un être en devenir en phase d’apprentissage, mais comme une personne autonome, possédant des savoirs innés qu’il suffirait de révéler. Il n’aurait donc pas besoin de les apprendre ? Pas besoin non plus d’apprendre le sens de l’effort pour mieux résister plus tard aux attitudes de fuite dans l’indifférence…ou dans la drogue ? L’école n’est plus un endroit où l’on instruit, mais devient un lieu de vie d’où 33% d’enfants, selon l’Observatoire National de la lecture (http://illettrisme.free.fr/info.html#chiffres), sortent illettrés (ayant quitté l’école en 3ème).

Par ailleurs, renonçant à l’instruction pour tous, l’école va être amenée à une perception locale de son rôle. En effet, cela revient à renoncer à des programmes nationaux, voire au recrutement national des enseignants. La contractualisation des établissements est inscrite dans le projet Lang et elle aboutira à des inégalités de niveau.

Ainsi l’échec scolaire ne peut pas être expliqué uniquement par le contexte socio-économique dans lequel l’école a dû s’inscrire. Bien sûr, on ne peut et on ne doit pas nier le rôle de la crise économique et de ses conséquences (chômage, exclusion, …) la dispersion créée par l’évolution de la cellule familiale et du rôle des parents, la multiplication des activités extra-scolaires dès le primaire, l’omniprésence de la télévision et des jeux vidéo.

Mais faut-il pour autant refuser de prendre en compte les effets néfastes des réformes mises en œuvre depuis une trentaine d’années et par là même, renoncer à rendre l’école plus efficace en modifiant les paramètres qui ne dépendent que de l’État et réduisent significativement les inégalités sociales ? Un rapport – peu ébruité - de l’Inspection Générale de l’Éducation nationale, remis au gouvernement en septembre 2000, montre que l’académie de Rennes qui a« privilégié un enseignement traditionnel au détriment des innovations pédagogiques » et a le moins appliqué les « réformes » engagées depuis 1989 est l’académie qui obtient les meilleurs résultats nationaux du CE2 à l’enseignement supérieur en passant par le bac (de 6 à 10 points de mieux en moyenne) et celle où les élèves issus des milieux défavorisés obtiennent toujours des résultats supérieurs à ceux qu’on attendrait d’après les moyennes nationales.

Se contente-t-on généralement d’évoquer les causes avouables de l’échec scolaire liées au contexte social pour éviter de parler de ses causes inavouables : des politiques éducatives qui mettent à mal l’instruction ?