COMMISSION EUROPEENNE
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Le marketing à l’école
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Résumé du
Rapport final
Octobre 1998


Cette étude a été produite par GMV Conseil pour la DG Santé et Protection des consommateurs et représente les vues de GMV Conseil sur "L'étude sur les pratiques commerciales dans les écoles réalisée à la demande de la Commission européenne". Ces vues n'ont pas été adoptées ou de quelque façon que ce soit approuvées par la Commission et ne devraient pas être invoquées comme une déclaration de la Commission ou des vues de la DG Santé et Protection des consommateurs.

La Commission européenne ne garantit pas la précision des données incluses dans cette étude et elle n'accepte pas la responsabilité pour une utilisation faite s'y rapportant.

Résumé de l'étude sur les pratiques commerciales dans les écoles réalisée à la demande de la Commission européenne (Le marketing à l'école, GMV Conseil, octobre 1998)

I. Motifs, objectifs et méthodologie de l’étude

Les enfants constituent une cible de plus en plus prisée par les publicitaires, ce qui n'a rien d'étonnant quand on sait que les deux tiers des produits consommés par les enfants le seront encore à l'âge adulte et que ceux-ci sont de plus en plus souvent les prescripteurs des achats effectués par leurs parents. Or pour certains, l'école représente le lieu idéal pour diffuser des messages publicitaires à l'intention des enfants: c'est là qu'ils se trouvent tous rassemblés et le lieu même tend à garantir l'intérêt et la qualité des messages qui y circulent. 

Dans le même temps, des voix s'élèvent pour dénoncer ces pratiques et des codes de conduite sont mis en place pour tenter d'en empêcher les dérives.

Puisqu'il y a débat et que les liens entre ce sujet et la politique des consommateurs sont évidents, la Direction Générale Santé et Protection des consommateurs a souhaité qu'un consultant extérieur se penche sur la question afin 

  1. d'évaluer l'impact de la publicité et du marketing direct dans les écoles primaires et secondaires;
  2. d'inventorier et d'analyser les lois et règles de chaque pays;
  3. de fournir des recommandations de nature à améliorer la situation, si nécessaire.

C'est la société GMV Conseil, basée à Paris, qui a remporté l'appel d'offres relatif à cette étude. Elle a remis son rapport à la Direction Générale Santé et Protection des consommateurs en octobre 1998.

Après avoir défini le champ de l'étude (qu'entend-on par pratiques commerciales à l'école?) et identifié les principaux acteurs du débat, GMV Conseil, aidé de ses partenaires Euclid (Royaume-Uni) et Europool (Belgique), a analysé articles de presse et publications diverses parus sur le sujet; mené plus de 100 entretiens avec des personnes concernées, à la fois au niveau européen et dans les pays suivants: Allemagne, Belgique, France, Pays-Bas et Royaume-Uni; fait l'inventaire des cadres juridiques applicables aux pratiques commerciales à l'école dans les différents pays de l'Union européenne; recensé des exemples d'actions spécifiques; tiré des conclusions; fait des recommandations.

II. Le contexte

Les consultants ont défini le champ de l'étude comme étant l'ensemble des actions menées par des entreprises ou des organisations (par exemple humanitaires) au sein des écoles, quelles que soient ces actions et quel que soit le degré de visibilité de ceux qui en sont à l'origine.

Ils ont identifié les causes principales de cette pénétration d'entités extérieures dans les écoles: d'une part la difficulté pour les écoles de trouver les budgets nécessaires pour proposer aux élèves des activités motivantes à partir de matériels pédagogiques modernes et attrayants, surtout dans le cas de matières généralement considérées comme non fondamentales par les ministères de l’éducation, comme par exemple… l'éducation à la consommation; d'autre part l'attrait que représente pour une entreprise ou une organisation désireuse de communiquer avec des enfants un lieu où tant d'enfants sont justement rassemblés.

III. Panorama de la situation actuelle

III. 1. Nature des pratiques commerciales menées dans les écoles 

Il peut s'agir:

  • d'actions "pédagogiques" consistant en la distribution de matériels tels que livres, cédéroms, vidéos, brochures, cartes, posters, etc., souvent présentés dans des "kits" sous forme de coffrets, mallettes ou autres valisettes, ou la mise à disposition d'équipements tels qu'ordinateurs, imprimantes, téléviseurs, magnétoscopes, etc. Généralement, ces équipements ou matériels sont distribués ou mis à disposition gratuitement ou contre une participation modique; 
  • d'actions de "sponsoring" consistant à aider l'école à emmener les élèves au théâtre, au cinéma, au musée, en voyage scolaire ou à organiser des événements tels que concours de classe, compétitions sportives ou fêtes de fin d'année; 
  • d'actions "commerciales" ou "publicitaires" consistant à distribuer aux élèves des échantillons, des bons de réduction ou encore des cadeaux contenant des publicités (par exemple des agendas); 
  • d'actions de "mécénat" consistant à payer la construction ou l'entretien de tout ou partie d'un établissement scolaire ou à mettre à la disposition de l'école des équipements qui ne sont pas utilisés par les élèves mais par l'administration.

III. 2. Source des réglementations

Il n'existe pas de législation européenne dans ce domaine.

Par ailleurs, les instances de régulation de la publicité considèrent qu'elles n'ont aucune raison d'appliquer des règles particulières au milieu scolaire, leur intervention se limitant au contenu du message publicitaire indépendamment du moyen par lequel celui-ci est transmis.

C'est donc à l'initiative d'organisations telles que des organisations de consommateurs, de parents d'élèves ou d'enseignants que des codes de bonne conduite ont été adoptés.

Quant aux réglementations, quand elles existent, elles dépendent des ministères de l'Education des différents pays. Dans l'ensemble, elles tendent à interdire toute "pratique commerciale" au sein des écoles. Simple? Non, car il n'y a pas de définition claire et précise de ce qu'est une pratique commerciale. Le sponsoring, le mécénat ou la distribution de matériels pédagogiques sont-ils des pratiques commerciales? Pour certains oui, pour d'autres non. Pas étonnant alors que cette interdiction soit contournée le plus facilement du monde, et ce d'autant plus que les autorités responsables de l'éducation admettent de plus en plus la nécessité pour l'école de s'ouvrir au monde économique. Faut-il dès lors finir par lever cette interdiction qui n'est plus guère que formelle, tout en conservant évidemment un certain nombre de garde-fous?

III. 3. Exemples d'actions rencontrées dans les différents pays européens

III. 3. a. Actions "pédagogiques"

Les matériels pédagogiques traitent le plus souvent des thèmes suivants: la nutrition et l'alimentation, l'énergie, l'eau, la santé et l'hygiène, la prévention routière, les devoirs du citoyen, l'économie domestique, les moyens de transport. Rien d'étonnant donc à ce que Colgate et Signal soient présents sur le terrain du brossage des dents et Tampax sur celui des première règles.

Sur le terrain des équipements, ce sont évidemment les firmes à caractère technologique qui sont les plus présentes, à l'image d'AOL qui a offert des connexions gratuites à Internet à certaines écoles britanniques. 

III. 3. b. Actions de "sponsoring"

Sont parrainés:

  • des concours de classe incitant à la réalisation d'un projet pédagogique (Gaz de France organise un concours d'affiches sur le thème du transport du gaz naturel, La Libre Belgique et RTL-TVI un concours d'othographe, Kellog's un concours sur la nutrition, Bayer un concours scientifique…); 
  • des équipes sportives au sein des écoles; 
  • des manifestations diverses (Lu et des expositions sur le patrimoine artistique, Kellog's et la Journée du petit-déjeûner, Nike ou Levi's et des fêtes scolaires de fin d'année…); 
  • et même la formation d'enseignants (séminaires pour enseignants organisés par des banques en Allemagne).

III. 3. c. Actions "commerciales" ou "publicitaires"

Des messages publicitaires apparaissent dans certains manuels scolaires (Nestlé, JVC, Swatch et Air Inter n'apparaissent-ils pas dans un livre édité par Hachette à l'intention d'élèves de l'école primaire - classe de CM1 - en France?), ainsi que dans des agendas ou même dans des brochures ou dépliants publiés à l'occasion d'un événement (fête de l'école, par exemple).

De l'espace disponible sur les murs de l'école, y compris à l'intérieur, est utilisé pour de l'affichage publicitaire (ce support publicitaire est utilisé en Allemagne, en Autriche et en France).

Des échantillons de produits ou des dépliants sont distribués aux élèves, soit dans l'enceinte de l'école, soit directement à la sortie.

D'autre part, contrairement aux idées reçues, la vente de produits se pratique depuis longtemps dans les écoles: magazines, photos de classe, boissons, friandises, etc.

Enfin, des ventes se déroulent en dehors du circuit scolaire mais en utilisant la caution de celui-ci. On pense à ce système qui consiste à acheter certains produits pour se voir remettre des bons qui, une fois donnés à l'école de son enfant, permettra à celle-ci d'obtenir gratuitement ou à moindre prix du matériel informatique ou des équipements sportifs. 

III. 3. d. Actions de "mécénat"

Des établissements scolaires se voient proposer des aides pour améliorer leurs infrastructures ou bien des mises à disposition en général gratuites d’équipements non directement liés à leurs activités éducatives mais nécessaires à leur bon fonctionnement administratif.

Ainsi, en Suède, des réfectoires sont équipés de rideaux portant le logo du producteur laitier Arla.

III. 4. La dérive américaine

Qu'il s'agisse de Campbell qui insère dans un kit pédagogique un poster expliquant pourquoi sa sauce Prego est plus épaisse que sa concurrente Ragu, de General Mills qui invite les enseignants à ouvrir la bouche de leurs élèves et à y introduire des bonbons Gushers (qui ont la particularité de faire "PSSSSSSHHHHHHT" au contact de la langue) pour leur expliquer le phénomène des sources géothermiques (!), des logiciels d'apprentissage de la lecture grâce auxquels les enfants apprennent à lire "J'aime manger chez Mac Donald's" ou "J'aime boire du Pepsi", ou encore de la chaîne "commerciale éducative" [sic!] Channel One1, voilà des pratiques unanimement condamnées en Europe où elles sont assimilées à de simples animations commerciales dans les salles de classe.

III. 5. Récapitulatif 

La publicité dans le cadre scolaire est autorisée (ou bénéficie d'un vide juridique) en Autriche, au Danemark, en Espagne, en Finlande, en Irlande, en Italie, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Suède.

Elle est théoriquement interdite en Allemagne2, en Belgique, en France, en Grèce, au Luxembourg et au Portugal. 

En réalité, on la retrouve partout.

IV. Les acteurs et leur position a priori

Pour la plupart des personnes interrogées, l'école doit éduquer les enfants de manière neutre et objective, leur enseigner le respect d'autrui et développer leur esprit critique. Celles qui s'opposent farouchement à l'entrée de l'entreprise à l'école motivent leur point de vue par la crainte de voir remis en cause ces principes, en particulier la neutralité du système. 

Les enseignants interrogés déclarent être attentifs à ce que l'école soit préservée des influences commerciales. 

Les entreprises (ou organisations) qui cherchent à s'introduire dans les établissements scolaires peuvent poursuivre trois objectifs: améliorer leur image, fidéliser une clientèle à long terme ou influencer des comportements sociaux.

Quant aux publicitaires, comment pourraient-ils résister aux chants de ces trois sirènes: le phénomène de l'influence des pairs qui sévit dans les cours de récréation, le pouvoir de prescription des enfants sur les achats effectués par leurs parents (même ceux qui ne les concernent pas directement) et les études qui montrent que les deux tiers des produits utilisés dans l'enfance le seront encore à l'âge adulte?

Enfin, toutes les instances de régulation de la publicité, que ce soit au niveau international, européen ou national, ont mis au point des codes de déontologie régissant la publicité ciblée sur les enfants. Toutefois, et cela est dû à une position de principe de la part de ces instances, ces dispositions s'appliquent au contenu des messages sans faire de cas des lieux dans lesquels ceux-ci sont diffusés. Elles sont donc muettes sur la question spécifique du marketing à l'école.

V. Les principes à l'épreuve des faits 

D'une part, si tous les enseignants déclarent vouloir tenir leurs élèves à l'abri des influences commerciales les plus néfastes, beaucoup reconnaissent qu'il n'est pas possible, ni même souhaitable, de les enfermer dans un cocon. 

D'autre part, la plupart des actions menées par les entreprises dans les écoles ne relèvent pas (ou plus) de la publicité bête et méchante, mais sont dotées d'un caractère pédagogique certain.

Voilà pourquoi la majorité des gens interrogés estiment que l'interdiction en bloc de la publicité à l'école, dans les pays où cette mesure existe encore dans les textes, n'est plus adaptée à la situation actuelle, et proposent de rendre le système plus souple et plus réaliste selon les principes suivants: non aux actions à caractère purement commercial, oui aux actions à caractère éducatif et de qualité.

Le problème est maintenant de définir ce que l'on entend par qualité. 

Qu'il s'agisse d'organisations de consommateurs, d'ombudsmen, de gouvernements, voire de sociétés de communication chargées par les entreprises d'élaborer les matériels destinés aux écoles, tout le monde se retrouve d'accord pour juger de la qualité de ces matériels à l'aune des critères suivants:

  • ils ne doivent pas être distribués aux élèves directement, mais par le canal des chefs d'établissement et des enseignants; 
  • ils doivent être fournis gratuitement ou contre une participation extrèmement modique; 
  • ils doivent avoir été mis au point par des spécialistes du sujet, en collaboration avec des pédagogues; 
  • ils doivent avoir été testés sur des élèves; 
  • ils doivent faciliter l'apprentissage de certaines connaissances (au mieux, ils doivent s'intégrer naturellement dans les programmes scolaires); 
  • le contenu doit être présenté de manière objective, sans stéréotypes ou préjugés; 
  • le contenu et la présentation doivent être adaptés à la culture locale; 
  • le marquage ne doit pas être dissimulé (l'identité du sponsor doit apparaître clairement), mais doit rester discret; 
  • il ne doit pas y avoir de slogans ni d'encouragement direct à l'achat (ou à la prescription) d'une marque ou d'un produit.

VI. Conclusions

Sans garde-fous, la pénétration du marketing à l’école risque d'engourdir le sens critique des élèves, de faire naître en eux des frustrations, de leur faire percevoir la société de manière appauvrie et d'encourager chez eux des attitudes stéréotypées. 

Mais avec des garde-fous, ces pièges seront évités et des avantages se feront jour: avantages matériels, certes, pour des systèmes scolaires en manque chronique de moyens, mais aussi pédagogiques, puisque d'une part la pénétration du marketing à l’école ouvre celle-ci au monde de l’entreprise et aux réalités de la vie et de la société, et que d'autre part elle permet d'éduquer les élèves aux questions de consommation en général et aux techniques publicitaires en particulier.

VII. Recommandations

Pour permettre à l'école de retirer un bénéfice financier et pédagogique maximum des actions de marketing à l’école et empêcher les dérives "à l’américaine", l’étude recommande:

  • de maintenir la pression sur les entreprises pour qu'elles continuent à créer des matériels de qualité selon les critères définis plus haut; 
  • d'intervenir auprès des autorités nationales responsables de l'Education afin que soient réactualisés les textes s'appliquant aux "pratiques commerciales" à la lumière de la multiplication des nouveaux médias. D'autre part, ces textes devraient maintenant reconnaître la légitimité de certaines "bonnes" pratiques déjà largement répandues, ce qui les rendrait d'autant plus crédibles dans l'interdiction de pratiques moins avouables; 
  • de favoriser la circulation des informations et des points de vue et l'échange d'expériences entre les acteurs concernés dans les différents pays; 
  • de créer des organes de régulation dont le rôle serait de décider ce qui peut ou ne peut pas entrer à l'école et de sanctionner les éventuels dérapages; 
  • de former les enseignants à l'utilisation des matériels fournis par les entreprises, notamment pour qu'ils sachent en décoder les intentions publicitaires et ensuite expliquer celles-ci aux élèves, 
  • d'encourager l'autodiscipline de la part des entreprises, sur le modèle de ce qui se fait dans le cadre de la publicité classique, où l'autodiscipline coexiste avec la loi.

Ces recommandations ne s'appliquent pas toutes, loin de là, à des actions que la Commission européenne serait en mesure de mener. Certaines interpellent les autorités nationales, d'autres les entreprises, d'autres les enseignants, d'autres encore l'opinion publique. En outre, le rapport dit clairement qu'il n'est pas du ressort de l'Union européenne de légiférer sur le sujet, car le contrôle du contenu de la publicité revient à l’organisme européen Alliance européenne pour l’éthique en matière de publicité3 et celui du "support" utilisé, à savoir l’école, aux autorités nationales responsables de l'Education.

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1           Channel One offre aux établissements scolaires américains qui le souhaitent de les équiper en matériel audiovisuel (antennes satellites, téléviseurs et magnétoscopes). En échange, les enseignants doivent faire regarder chaque jour ses programmes à leurs élèves, programmes évidemment entrecoupés de publicité. 

2           Sauf dans certains Länder.

3           Du moins pour ce qui est du contenu des messages publicitaires individuels, le cadre général étant lui défini par la loi.