AGCS



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L'éducation vue par l'A.G.C.S.
I - Généralités sur l’AGCS
II - Le volet Éducation de l’AGCS
et repères bilbliographiques
19/01/2001 Article

 

AGCS, Accord Général sur le Commerce des Services est l’outil de déréglementation et de privatisation le plus perfectionné de l’Organisation Mondiale du Commerce. Les industriels qu’il sert ont des appétits gargantuesques, ils s’attaquent aux services avec une faim jamais rassasiée. Mais pour s’assurer de ne plus rien laisser sur la table, l’AGCS leur fait prendre plusieurs repas et les fait manger discrètement. L’OMC, maître d’hôtel, sait tenir ses convives industriels dans leurs propres intérêts : l’AGCS comporte plusieurs menus. Le plus attendu étant l’un des plus consistants : l’Éducation.



I - Généralités sur l’AGCS

  L’industrie avait-elle trouvé une limite à ses profits ? Toujours est-il qu’elle à découvert de nouveaux débouchés et qu’elle s’est armée pour les exploiter.


A - Les industriels, géniteurs de l’AGCS

  Depuis le début des années 80 le libéralisme a suivi la progression fulgurante des technologies. Quoi de plus normal puisque les deux sont l’œuvre des industriels. Ainsi, le paysage économique mondial à considérablement évolué.

1) Contexte

  Les services sont le secteur en plus forte croissance dans l’économie mondiale, plus particulièrement celui de la santé qui, aujourd’hui, représente 3.500 milliards de dollars de dépense mondiale annuelle, et celui de l’éducation qui en représente 2.000 milliards. Dans la plus part des pays, ces fonds sont consacrés essentiellement par l’État. Ce dernier en contrôle donc la dépense tant directement qu’indirectement :

- directement par ses investissements directs (infrastructures et personnel publics) ou indirects (subventions aux infrastructures et personnel privés)

- indirectement par la réglementation sur les prix des fournitures, les taxes, les contenus, le statut des personnels.

  Aussi, à la fin des années 80, les télécommunications, grâce à l’évolution informatique, deviennent avec Internet un enjeu à la fois économique et stratégique très important dans les pays industrialisés. Or cette branche des services est, à cette époque, toujours sous le contrôle de l’État dans la plus part des pays. Internet devient alors l’outil permettant d’envisager une conception radicalement différente des deux services les plus importants que sont la Santé et l’Éducation. Ce lien avec les télécommunications et l’informatique provoque un bouleversement ouvrant les appétits des industriels de tous bords. Souvenez-vous du show médiatique de Microsoft, présenté par Bill Gates, sur sa conception "ultra moderne" de la santé : un accidenté de la route au sud des USA est transporté dans une ambulance où le médecin est en contact via Internet avec un hôpital au nord du pays où un spécialiste en traumatisme crânien fait un premier diagnostic et prescrit les premiers soins d’urgence qui sauvent la victime. Le show allant jusqu’à l’opération d’un malade dirigée par plusieurs chirurgiens éparpillés sur toute la planète.

  Mais si les télécommunications, la santé et l’éducation sont des services très convoités, à cette époque les industriels cherchaient également à s’emparer d’autres branches beaucoup moins sensibles tel le tourisme, les transports aériens, la poste, l’audiovisuel ; ou tout aussi sensibles comme la recherche scientifique, la propriété intellectuelle, l’énergie, l’eau.

  Pour les industriels il n’y avait pas de doute : l’État gardait pour lui les parts les plus importantes et les plus appétissantes du gâteau, il s’agissait donc pour eux d’accélérer les privatisations et la déréglementation mondiale.

2) Historique

  C’est dans ce contexte que les industriels élaborent leur stratégie de capture des services. A la fin des années 80, l’OMC n’existait pas, le GATT régissait les accords commerciaux internationaux. Lors de l’Uruguay Round les USA insistèrent pour introduire les services dans les négociations ; l’ European Round Table (ERT), la Table Ronde des industriels Européens, née en 1983, réunissait déjà les quarante sept plus grands dirigeants industriels européens et en 1989, ayant compris les enjeux de l’éducation liée à Internet, a commencé à exercer un lobbying important au sein de la Commission européenne.

  Cinq ans plus tard, en Décembre 1994, l’AGCS voyait le jour et devenait applicable au début 1995 pour certains secteurs des services. La même année, à l’issue du huitième round du GATT est ratifiée l’OMC qui sera basée à Genève. Sous couvert de contrôler le marché afin d’éviter les dérives de la déréglementation, l’OMC se révèlera très vite comme un pouvoir supra national coercitif. Son outil privilégié : le cliquet de la déréglementation : toute nouvelle négociation devient irrévocable, il est impossible de revenir en arrière. C’est dans cet esprit que seront négociées la libéralisation et l’ouverture à la concurrence des premières branches du secteur des services : les transports aériens, le tourisme, la poste, l’audiovisuel.

  Le 27 novembre 2000, à Bruxelles, s’est tenue une conférence internationale organisée par le Forum des Services Européens (FSE). Ce groupe de pression industriel, fondé au début 1999 à l’initiative de l’ancien Commissaire européen au commerce, Leon Brittan, exerce, comme l’ERT, une influence considérable sur la Commission européenne. D’ailleurs, le thème de cette conférence ne laisse aucun doute sur leurs intentions : "Les négociations de l’AGCS 2000 - Nouvelles opportunités de libéralisation commerciale pour tous les secteurs de service". Pire, nous devons nous inquiéter lorsqu’on apprend que la Commission européenne et l’OMC soutenaient ensemble cette conférence qui est le préalable aux prochaines négociations de l’AGCS à partir de mars 2001 où les secteurs de la Santé et de l’Éducation seront sur la table de travail.

  Aujourd’hui l’AGCS concerne 160 secteurs de services classés en 11 sous-groupes. Dévolu à l’OMC, cet accord prévoit d’ouvrir les services publics aux investissements privés en n’agissant qu’en fonction de considérations commerciales sous prétexte d’harmonisation et de respect des règles de concurrence. Où est le citoyen dans cet accord ? Nulle part puisqu’il en est exclus en regard des moyens que donnent l’OMC et la Commission européenne aux industriels pour parvenir à leurs fins.


B - Les industriels se donnent les moyens de leurs ambitions

  Habituellement très pressés, les industriels cette fois ont préféré prendre leur temps. " Chi va piano va sano e chi va sano va lontano ", lentement mais sûrement, l’AGCS est un accord cadre non finalisé qui veut aller loin. En fait il ouvre des portes très larges de sorte à pouvoir y faire entrer progressivement tous les services, quelle que soit leur importance, au terme de différentes négociations au fil du temps. Chaque secteur des services étant une étape longuement négociée entre États membres de l’OMC et cette dernière et au sein de la Commission européenne concernant ses quinze États membres. Mais comme pour l’AMI, les citoyens ne sont pas consultés, les États font confiance aux "experts" provenant des plus grandes industries mondiales et l’OMC fustige toutes velléités progressistes.

1) Portée de l’AGCS

  Au niveau mondial, de la grande distribution à la santé et l’éducation en passant par les assurances, les banques, l’audiovisuel, les musées, tout doit entrer dans l’AGCS. En Europe, la Commission européenne, par la bouche de son commissaire au commerce de l’époque, Leon Brittan, venait s’agenouiller au pied de l’UNICE, la plus grande fédération patronale européenne, pour proposer de légitimer leurs désirs. Ainsi à propos du secteur des services, la Commission demanda servilement " dites nous quels sont les marchés où vous rencontrez des obstacles d’ordre gouvernemental, c’est à dire, les plus faciles à éliminer par le biais des négociations commerciales ". De l’aveu même de la Commission, l’AGCS est d’abord et surtout un instrument qui bénéficie au monde des affaires... ". Nous pourrions interpréter ses propos comme un simple constat, si Monsieur Brittan n’avait pas annoncé fièrement que " la Commission est enthousiaste pour aider les hommes d’affaire à faire avancer la libéralisation grâce à l’AGCS ".

  Nous l’avons donc compris : aucune limite à la portée de l’AGCS, même si les pays membres de l’OMC peuvent émettre quelques exceptions, celles-ci ne sont que provisoires. La finalité absolue étant de ne laisser à l’État que les secteurs dits gouvernementaux, à savoir la police ; l’armée ; la justice, sous l’aspect des décisions judiciaires (magistrats) et de leur exécution ; et la fiscalité.

  Même l’environnement est visé par l’AGCS car, selon l’OMC, " l’adoption de normes internationales en matière d’environnement élargira les marchés internationaux, tandis que la participation étrangère [investissements privés (NDLA)] pourrait être favorisée par la privatisation et la déréglementation des services d’utilité publique " (!!). De l’assainissement de l’eau à la gestion des parcs naturels, tout le secteur de l’environnement peut entrer dans le cadre de l’AGCS.

  Si la Commission européenne est toute vouée à l’OMC, le Parlement européen n’est pas en reste. En effet, dans son communiqué de presse à propos du "cycle du millénaire" en 1999, il " constate qu'au cours des cinq premières années de son existence, l'accord général sur le commerce des services (AGCS) a permis des progrès substantiels en matière de libéralisation " et préconise " que les négociations devraient être générales et tendre à présenter un ensemble plus approfondi et général d'engagements ". Toutefois, s’il est favorable à la commercialisation de la Santé et de l’Éducation, il souhaite tout de même être consulté au préalable lors de l’introduction de ces service dans l’AGCS, mais que peut-on en attendre en regard de la teneur générale de son communiqué ?

  Mais ce n’est pas tout. Cet accord peut aller jusqu’à réaliser la prouesse tant rêvée des industriels : la marchandisation de l’homme. Aujourd’hui, l’homme libre qui décide de s’installer hors son pays d’origine le fait bien souvent pour bénéficier d’une protection sociale plus favorable quand ce n’est pour échapper à l’autoritarisme de son pays. Ainsi il choisit de changer son contexte juridique, son statut. Dans le cadre de l’AGCS, l’OMC met fin à une grande partie de cette liberté après avoir élaboré un programme remettant au goût du jour l’esclavagisme, certes non absolu mais relativement au pays d’accueil. En effet, l’OMC voit se réaliser son ambition de diminuer les coûts salariaux grâce à l’appui de la Commission européenne qui a l’intention de mettre en place le programme de la " contractualisation " et les contrats de travail " offshore ". Complètement déconnecté de la législation où le salarié travaille, le droit du travail applicable, la fiscalité inhérente au contrat de travail ainsi que la monnaie du salaire seraient ceux du pays d’origine du salarié qui bénéficierait d’une carte de séjour de la même durée que son contrat de travail ! Que devient cette personne si son contrat n’est pas renouvelé ? la Commission ne le dit pas. L’homme objet est de retour. Nous comprenons mieux maintenant l’amour soudain d’Alain Madelin pour la France "Terre d’asile" !

  Malgré son échec à Seattle en novembre 1999, l’OMC a continué à travailler sur l’AGCS. Ainsi, cet accord envisage également d’ouvrir des négociations pour ce qui concerne les marchés publics, les investissements et les politiques de concurrence, où l’État a encore son mot à dire puisque ces domaines font toujours l’objet d’une législation aussi minimaliste soit-elle.

  Bien que les négociations officielles aient été interrompues, l’AGCS suit son chemin sans trop de perturbations et répond aux exigences des lobbies très influents au sein de l’obscure Comité 133 qui prépare les travaux d’orientation de la Commission européenne pour ce qui concerne le commerce international(1).

  La portée de cet accord ne souffre aucune exception si elle n’est pas expressément exprimée dans une "liste exhaustive". Celle-ci ne devant alors être que provisoire. Ainsi, en vertu de l’article 23-3 de l’accord, il est possible à toute entreprise de faire appel à l’ORD (Organe de Règlement des Différents) pour qu’elle intervienne auprès d’un État dès l’instant où cette entreprise n’a pas réalisé les bénéfices escomptés sur ses investissements du fait d’une mesure nationale contraire à l’AGCS. La sanction allant du retrait de la mesure au dédommagement de l’entreprise par l’État "coupable". Cependant cette disposition, si elle est applicable dans certains domaines, elle reste inapplicable en matière de sécurité sociale et de subvention tant que la révision de l’AGCS ne sera pas finalisé. Son usage reste donc très limité, mais ça ne durera pas.

  Les services représentent 70% des investissements globaux à l’étranger. Ainsi, c’est la quasi totalité de l’activité humaine qui est visée par l’AGCS. Sur les 160 secteurs prévus dans l’AGCS, l’Union européenne s’est engagée sur 120 d’entre eux. Cela a été rendu possible grâce à une ré-interprétation de chaque secteur pour qu’il soit inclus dans les services.

2) Reconsidération des services

  Pour pouvoir être commercialisés, les services, principalement publics, doivent changer de statut. Considérés aujourd’hui comme un droit tel le droit à la santé, le droit à l’éducation, ils deviendraient des marchés par la redéfinition des nomenclatures et de l’application des règles de la concurrence.

  C’est ce qui est impressionnant dans le raisonnement de l’OMC et de la Commission européenne. Sans se poser de question d’ordre philosophique elles partent du principe que leur définition des services est acquise, qu’elle va de soit. Elles appliquent ensuite un raisonnement binaire (tout ou rien). Par exemple :

- Question " la santé est elle un marché ? "
Réponse : " oui "

- Question : " Le marché doit-il être ouvert à la concurrence ? "
Réponse : " oui "

- Raisonnement : " Si la santé est un marché et si le marché doit être ouvert à la concurrence, alors la santé doit être ouvert à la concurrence " CQFD ! C’est imparable... lorsqu’on est intellectuellement limité.

  Toutefois la redéfinition des services est un peu plus subtile. l’OMC part de la finalité du service, définit ses critères qu’elle estime être ceux du marché et en conclue naturellement que le service en question relève du marché et du commerce international. Elle inverse le raisonnement en excluant l'être humain. Ainsi en reprenant l’exemple de la santé, pour dire qu’elle est un marché, l’OMC part du principe que ce secteur est voué à devenir " une industrie d’exportation ". Ainsi puisqu’il est question d’industrie et d’exportation cela répond de relations commerciales tels l’achat et la vente entre un client et un fournisseur d’ou la nécessité d’ouvrir se marché à la concurrence. Ce raisonnement est à l’opposé du raisonnement social où la question primaire n’est pas la finalité, mais le besoin humain. Qu’est ce qui est indispensable à l’homme dans une société ? Répondre à ces besoins contribue-t-il à l’utilité de cet homme pour la société dans laquelle il vit ? Est-il en mesure de répondre lui-même à ces besoins ? S’il est répondu par l’affirmative à la deuxième question et par la négative à la dernière, l’État, représentant de ses citoyens, doit avoir la charge exclusive des services permettant de répondre à ces besoins, d’où les services publics ou les services sous tutelle de l’État et dépourvus de notion concurrentielle ou commerciale.

  Cependant, selon l’AGCS, pour qu’un service puisse entrer dans son champ d’application, il faut qu’à sa base il soit soumis à la concurrence entre au moins deux prestataires ou susceptible de l’être. Concernant les services publics nous sommes face à un paradoxe : pour s’ouvrir à la concurrence et aux lois du marché, le service doit déjà faire l’objet d’une concurrence. Les lobbies voyaient ainsi les services publics leur échapper. L’OMC, capable des raisonnements les plus tordus même s’ils sont toujours très binaires, a imaginé une parade défiant toute intelligence :

a) première déduction : si un service ne fait pas l’objet d’une concurrence entre deux prestataires, c’est qu’il fait l’objet d’une exclusivité. Lorsque cette exclusivité est celle de l’État le service en question relève du pouvoir gouvernemental. Sont donc exclus de l’AGCS les services relevant du pouvoir gouvernemental ;

b) deuxième déduction : un service relevant du pouvoir gouvernemental devrait être totalement gratuit, fourniture comprise, ce qui n’est le cas dans aucun des services publics puisque les soins sont payants, les transports également, ainsi que les fournitures scolaires, etc.. Ils ne sauraient donc relever du pouvoir gouvernemental ;

c) conclusion : les services publics ne relèvent pas du pouvoir gouvernemental, ils ne peuvent donc être exclus de l’AGCS et entrent, de ce fait, dans son champ d’application.

  Vous étiez prévenus, le raisonnement est très primaire. Mais ce qui est plus vicieux encore, c’est que l’OMC ne nie pas l’utilité des services publics, mais veut les cantonner dans leurs exploitations les moins "rentables" voire même déficitaires par l’application de quelques règles fort simples :

- la redéfinition des services et des nomenclatures, ce qui permet l’introduction des services publics dans le champ de l’AGCS comme nous l’avons vu ;

- la suppression des restrictions d’accès aux marchés. C’est à dire que les États devront faire table rase des réglementations contrôlant l’accès aux marchés (nombre de fournisseurs, part de marché, participation au capital, nombre de personnel "importé") ;

- le traitement équitable des entreprises au niveau local, qu’elles soient publiques, privées, nationales ou internationales.

  Ainsi, par la redéfinition des services et la suppression des restrictions d’accès aux marchés l’AGCS permettrait à un nombre illimité d’investisseurs de fournir le même service, y compris parmi ceux actuellement dévolus à l’État (services publics) ou privés mais sous son contrôle. D’autre part, le traitement équitable pose le problème de la fiscalité, du statut des personnels, mais aussi des budgets alloués aux services publics qui sont requalifiés en "subventions" par l’OMC. Ainsi, si l’État "subventionne" ses services (publics) il doit le faire pour tous les autres investisseurs qu’ils soient nationaux ou étrangers. De fait, par l’impossibilité évidente de subventionner équitablement tous les acteurs dans un même secteur (et de façon viable pour les services publics), l’État est écarté des "marchés" ainsi créés, à moins que ses services s’auto-suffisent en devenant "rentables" ce qui suppose qu’ils soient totalement payants ou qu’ils s’ouvrent aux investisseurs avec une logique de "restructuration".

  Même si les méthodes de l’OMC sont dans le fond très sommaires, elle ne demeurent pas moins redoutables car nommer c’est agencer, ordonner, commander. En requalifiant une chose, on en change son statut, en réinterprétant un fait on en modifie les conditions et les effets. En procédant ainsi l’OMC parvient à donner une force juridique à toutes ses prétentions. Ainsi, à travers l’AGCS et ses méthodes, elle entend offrir l’Éducation au marchands.



II - Le volet Éducation de l’AGCS

  En réalité, il n’y a pas grand chose sur l’éducation dans l’AGCS. Seules sont connues les volontés de l’ERT et de la FSE. Les textes élaborés par ces lobbies, destinés à devenir officiels, ne sont pas connus. Il est très difficile de dire aujourd’hui exactement ce qui sera négocié à partir de mars 2001 sur ce volet (ainsi que sur celui de la santé). Mais en regard de ce que nous venons de voir c’est à dire l’entente parfaite entre la Commission européenne, l’OMC et les lobbies, il y a fort à parier que les volontés évoquées seront intégrées dans l’AGCS et soumises à l’approbation de la Commission.

  D’ailleurs, comme nous le disions, c’est par la définition et un raisonnement sommaire que l’AGCS s’accapare les services. Concernant l’Éducation, l’OMC considère qu’elle est " un article destiné à la consommation publique et privée ". "Article" et "consommation" impliquent "clientèle" et "fournisseur", impliquant ensemble "achat" et "vente" donc le commerce. Nombre d’enjeux ouvrent ici les appétits des industriels qui ont d’ors et déjà trouvé des moyens pour se rassasier.


A - Enjeux

  Les enjeux vont de la variété quasi infini des produits et services que peuvent fournir les industriels jusqu’à leur volonté idéologique de faire de nos enfants de bons petits soldats, gradés ou non.

1) Enjeux financiers

  Gérard De Sélys évoquait dans Le Monde Diplomatique de juin 1998 : " Mille milliards de dollars, tel est, selon l'OCDE, le montant des dépenses annuelles de ses États membres en faveur de l'enseignement. Un tel "marché" est activement convoité. Quatre millions d'enseignants, 80 millions d'élèves et étudiants, 320.000 établissements scolaires (dont 5.000 universités et écoles supérieures de l'Union européenne) sont à présent dans la ligne de mire des marchands ". Il se disait que malgré tout l’appétit des multinationales n’est pas près d’être rassasié concernant ce secteur car " il faudra beaucoup d'efforts pour faire appliquer ces textes et rapports, qui demanderaient un démantèlement de l'essentiel du service public de l'enseignement ". Les textes semblent prêts puisque l’Éducation sera, avec la Santé, sur la table des négociations dès mars 2001 dans le cadre de l’AGCS.

  Concernant l’Union européenne, ces textes ont probablement été élaborés au sein du comité 133 (évoqué plus haut) de la Commission européenne sous la direction de l’ERT et du FSE.

  Les marchés à prendre sont très juteux. Ils concernent les contenus scolaires et les moyens de dispenser l’enseignement et la formation. Ce n’est pas la bonne vieille école de notre enfance qui est convoitée. Ses méthodes sont jugées archaïques et probablement pas assez profitables parce qu’elles nécessitent des investissements non rentables telles les infrastructures à utilité unique. Non, la déréglementation des télécommunications, l’informatique et Internet ouvrent des possibilités bien plus lucratives parce qu’ici les infrastructures, déjà existantes pour la plus part, sont à usage multiple, l’enseignement à distance en étant un nouvel.

  D’ailleurs, la Commission européenne, dans son communiqué du 24 mai 2000 intitulé "e-Learning - Penser l’éducation de demain", souhaite que soit étendue l’initiative des " espaces virtuels " permettant d’élaboré des programmes éducatifs entre " chaque apprenant, enseignant, formateur, entrepreneur ". Pour cela, elle entend renforcer la coopération dans le cadre du réseau EUN (The Européan Schoolnet) associant certains ministères de l’Éducation de toute l’Europe dans un programme de campus européen virtuel multilingue et de développement d’un réseau européen pour l’innovation et l’échange d’information dans le domaine des technologies de l’information. Il est même envisagé " la promotion de l’employabilité ". L’éducation serait alors le moyen de rendre employable. Ici encore, un droit absolu, le droit au travail, devient relatif parce que s’y substituerait le droit d’accès au travail dont le résultat dépendrait de l’employabilité du candidat qu’il aura l’obligation de démontrer. Tout cela sert pleinement les exigences de l’ERT comme nous le verrons plus loin.

  Cette vision déjà préconisée en 1996 par l’OCDE et sollicitée par l’ERT ne laisse que très peu de place aux cours en classes avec des professeurs derrière leur bureau. Le matériel permettant de recevoir l’enseignement serait en très grande partie à la charge de l’élève tels l’ordinateur, les logiciels et didacticiels. Aussi, les contenus des cours fournis sur supports informatiques ouvrent l’horizon des droits d’auteurs et droits voisins sur la commercialisation et l’exploitation de logiciels.

  Pour inciter ses États membres, la Commission européenne déplore, dans son communiqué, au niveau européen, " le déficit en équipements et en logiciels [...] ; une pénurie préoccupante de personnels qualifiés [...] maîtrisant les technologies de l’information et de la communication [...] ; l’Europe produit une part trop faible de logiciels, de produits et services multimédias éducatifs [...] ; le coût trop élevé des télécommunications en Europe ". Elle craint l’hégémonie des États Unis et en cela veut les dépasser en poussant plus loin encore les préceptes libéraux.

  Télécommunication ; abonnements Internet ; abon-nements aux fournisseurs de contenus ; contenus eux-mêmes ; contenants ; droits connexes ; on distingue mal la limite des profits auxquels peuvent s’attendre les industriels s’ils s’emparent du secteur de l’éducation.

  Aussi n’oublions pas la considération de la personne que porte les industriels en dehors de la leur. Toujours très binaires, pour eux nous sommes soit de la main d’œuvre, soit des clients voire les deux à la fois. Aussi, lorsque nous sommes considérés comme futur personnel, les enjeux deviennent idéologiques.

2) Enjeux idéologiques

  Un bon salarié, quel que soit son grade, est un salarié qui répond au mieux aux exigences de son employeur. Si c’est assez difficile pour une petite structure de fondre dans un moule son personnel, pour une multinationale c’est beaucoup plus aisé, d’autant que l’éducation est le moyen rêvé pour y parvenir. D’ailleurs l’ERT l’a tout de suite compris puisque dès 1989, dans un document de son cru, intitulé "Éducation et compétence en Europe", elle voit l’éducation et la formation comme " des investissements stratégiques vitaux pour la réussite future de l’entreprise ". Quelques années plus tard elle se fait plus pressente lorsqu’en février 1995 au cours d’une réunion extraordinaire du G7 à Bruxelles consacrée à " la société de l’information ", elle affirmait dans un nouveau rapport que " la responsabilité de la formation doit, en définitive, être assumée par l'industrie. [...] Le monde de l'éducation semble ne pas bien percevoir le profil des collaborateurs nécessaires à l'industrie. [...] L'éducation doit être considérée comme un service rendu [...] au monde économique. [...] Les gouvernements nationaux devraient envisager l'éducation comme un processus s'étendant du berceau au tombeau. [...] L'éducation vise à apprendre, non à recevoir un enseignement. [...] Nous n'avons pas de temps à perdre ". La Commission européenne à suivit les exigences de l’ERT, récemment dans son programme "eLearning", mais déjà auparavant dans son Livre blanc sur l’éducation et la formation "Enseigner et apprendre - Vers la société cognitive" qu’elle à voulu être une des mises en œuvre de son autre Livre Blanc "Croissance, compétitivité, emploi" où elle insiste sur le lien entre compétitivité, emploi, éducation et formation.

  Ainsi, une entreprise peut rêver d’une armada d’employés modèles conçus dans un même moule pour répondre parfaitement aux exigences de ses objectifs. Elle aura à sa disposition un personnel tout voué à sa cause et formé comme une armée surentraînée au combat marchand dans un monde global. Peut importe qu’il sache ou non qui était Jules Ferry.

  Cet enjeu est pris très au sérieux. La mobilité des personnes rend la reconnaissance des compétences très complexe du fait des différents diplômes auxquels il est difficile de donner des équivalences d’un pays à l’autre. L’"harmonisation" dans ce domaine semble trop complexe pour la Commission européenne. Elle a néanmoins trouvé une solution : la "carte d’accréditation des compétences". L’étudiant (devenu client) serait crédité de compétences au fil de son apprentissage qu’il aura reçu (ou plutôt acheté), via l’enseignement à distance, dans chaque discipline qu’il aura parcourue. Ces compétences seraient créditées sur un support informatisé qui ferait office de passeport pour l’emploi. Lorsqu’il recherchera un travail ce support lui servirait de C.V. authentifié par les différents prestataires d’enseignement à distance à qui il aura acheté les services. La Commission en fait même une préoccupation essentiel dans son programme "eLearning" où elle parle de " reconnaissance des qualifications et des périodes d’études et de formation, en renforçant les instruments utilisés, tels ECTS (European Credits Transfer System), le forum sur les qualifications, Europass, l’ECDL (European Computer Driving Licence), sur la base de projets développés dans le cadre des programmes Socrates et Leonardo da Vinci(2) ".

  En plus de vendre leurs produits, les industriels seraient ainsi assurés de l’adhésion de leurs élèves clients à leurs thèses libérales. L’esprit critique n’aura plus de place dans ce type d’enseignement. Pourtant la Commission européenne admet que " la culture littéraire et philosophique [...] permet le discernement, développe le sens critique de l'individu, y compris contre la pensée dominante. Elle peut protéger l’individu contre la manipulation, en lui permettant de décrypter l'information qui lui parvient ". Mais elle ne va pas au delà et n’élabore aucun programme pour promouvoir cette culture le plus largement possible. Pire, selon elle ce rôle serait dévolu au médias !

  Quant à ceux qui n’auront pas les moyens financiers de suivre un enseignement à distance (essentiellement destiné à l’enseignement supérieur), et qui auront reçu une éducation de base, ils représenteront sur le marché du travail la masse de travailleurs dociles et corvéables à souhait dont l’industrie aura toujours besoin.

  Pour l’ensemble de ces enjeux, l’AGCS est ou sera le moyen pour les industriels de réaliser ce rêve.


B - Moyens

  L’ERT déplorait, dans son document "Éducation et compétence en Europe" destiné à la Commission européenne, que " l'enseignement et la formation [soient] toujours considérés par les gouvernements et les décideurs comme une affaire intérieure. [...] L'industrie n'a qu'une très faible influence sur les programmes enseignés ".

  Depuis l’OMC et la Commission ont fait beaucoup d’efforts puisque, comme nous le disions plus haut, l’éducation doit être considérée comme " un article destiné à la consommation publique et privée ". Par ce biais, l’AGCS transforme "le droit à l’Éducation" en droit "d’accès à l’Éducation". Le premier est absolu, chacun de nous doit aller ou être allé à l’école sans condition. Le second est relatif puisque l’accès à l’éducation est conditionné par les moyens permettant d’y accéder. Autrement dit, dans le second cas, on ne nous empêche pas d’accéder à l’éducation ; si nous n’y parvenons pas c’est seulement du fait de nos moyens limités, le droit reste respecté ; l’égalité des chances également (toujours selon l’OMC) puisque dans ce contexte, chacun pourra faire jouer la concurrence en disposant des mêmes offres(3).

  Sous le prétexte fallacieux d’ " une compréhension insuffisante de l'environnement économique, des affaires et de la notion de profit [par les] pouvoirs publics ", l’ERT cherche à capter les programmes scolaires et les dispenser en casant leur batterie d’ordinateurs, d’enseignement à distance, de logiciels et autres didacticiels. Le marché des télécommunications en voie de privatisation totale (restent encore les communications locales) est un moyen également pour une seule multinationale de fournir de l’éducation multi-supports en s’assurant l’exploitation de l’ensemble des marchés la composant : de la construction de bâtiments aux contenus scolaires en passant par les réseaux Internet, le personnel enseignant, les fournitures, les cantines scolaires, etc.

  Pour l’OMC les enjeux sont tels qu’ils méritent parfois d’être très clair et lapidaire. Ainsi dans un rapport de son secrétariat dans le cadre d’une " présence commerciale " dans l’éducation, elle évoque des " barrières " pouvant contrarier la liberté d’investir tels : " l’impossibilité d’obtenir des accréditations nationales ; les mesures limitant l’investissement direct par des fournisseurs (étrangers) de formation ; les exigences nationales ; les restrictions au recrutement d’enseignants étrangers ; l’existence de monopoles gouvernementaux et d’un haut niveau de subventions publiques aux institutions locales ". Elle se demande alors " comment empêcher que les problèmes de non-reconnaissance des diplômes délivrés par des fournisseurs de formation étrangers ne privent ceux-ci des gains qu’ils attendent de l’accès à ces marchés [et] si ces problèmes sont suffisamment traités dans les sanctions prévues à l’Accord Général sur le Commerce des services ? ". Elle s’interroge également sur la volonté de ses États membres d’ouvrir plus largement les services aux marchés en se demandant si " Les États membres ressentent-ils le besoin d’encourager les administrations nationales de l’éducation à se pencher plus étroitement sur les liens entre les règles nationales en vigueur et les obligations liées à l’Accord Général sur le Commerce des Services ? ". Là, nous savons clairement où nous allons.

  Pour ce qui concerne l’enseignement à distance, les enjeux sont antérieurs à l’AGCS. Le 7 mars 1990, la Commission européenne adopte le document de travail "L'Éducation et la formation à distance" dans lequel on peut lire que " l'enseignement à distance [...], est particulièrement utile [...] pour assurer un enseignement et une formation rentables [...]. Un enseignement de haute qualité peut être conçu et produit en un lieu central, et ensuite diffusé au niveau local, ce qui permet de faire des économies d'échelle [...]. Le monde des affaires devient de plus en plus actif dans ce domaine, soit en tant qu'utilisateur et bénéficiaire de l'enseignement multimédia et à distance, soit en tant que concepteur et négociant en matériel de formation de ce type ". A l’époque, quelle était la proportion de foyers connectés à Internet où même seulement disposant d’un ordinateur ? Il n’y a pas de doute, la Commission européenne est très visionnaire lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts des lobbies.

  Encore plus édifiant, en 1991 elle ne suggère pas moins que de concevoir l’université comme une " entreprise ". Les termes qu’elle emploie font froid dans le dos. A l’écouter un élève utiliserait le service éducatif comme un service bancaire. Il serait considéré comme un "client" à qui l’université en tant que "prestataire" vendrait ses "produits". Via l’enseignement à distance, le "prestataire" serait mis en concurrence avec d’autres ce qui l’obligerait à répondre le mieux possible aux besoins de son "client" se qui contribuerait à l’amélioration des "produits" et à les rendre "compétitifs au niveau du marché global" ! Jules, au secours !!

  L’OCDE s’y met aussi et enfonce le clou. Dans un compte-rendu d’une table ronde qui s’est tenue au USA en février 1996 (où devaient être présents les lobbies américains), elle considère que " l'apprentissage à vie ne saurait se fonder sur la présence permanente d'enseignants ", mais il doit être assuré par des " prestataires de services éducatifs. [...] La technologie crée un marché mondial dans le secteur de la formation. [...] La possibilité nouvelle de proposer des programmes d'enseignement dans d'autres pays, sans que les étudiants ou les enseignants partent de chez eux, pourrait fort bien avoir d'importantes répercussions sur la structure du système d'enseignement et de formation à l'échelle mondiale ". La Commission européenne a suivit ces recommandations dans le cadre de la mise en œuvre et d’appui communautaire de son programme "eLearning" où, selon elle, " une attention particulière sera porté [au] développement des mobilités virtuelles – cursus à distance, à travers les programmes Socrates et Leonardo da Vinci – pour compléter et prolonger la mobilité physique ". L’OCDE poursuit, quant à elle, en préconisant que le rôle de l’éducation nationale (publique) se limiterait à " assurer l'accès à l'apprentissage de ceux qui ne constitueront jamais un marché rentable et dont l'exclusion de la société en général s'accentuera à mesure que d'autres vont continuer de progresser ".

  Toutes les ambitions des lobbies industriels sont aujourd’hui, nous l’avons vu, des objectifs au sein de l’Union européenne : tout d’abord, et pour reprendre ce qui a été dit plus haut, la Commission européenne procède, comme l’OMC, à la ré-interprétation des choses. Ainsi, elle redéfini la notion de "connaissance" en prétendant, dans son Livre Blanc "Enseigner et apprendre - Vers la société cognitive", que " trois chocs contribuent à l'évolution vers la société cognitive : l'avènement de la société de l’information ainsi que le développement de la civilisation scientifique et technique et la mondialisation de l'économie ". Nous comprenons aisément, ici, qu’il n’est pas question de "connaissance" au sens large mais d’une notion réduite à la capacité d’être "rentable" dans le but d’être "employable". Ainsi, les ambitions de la Commission, qui se veulent être un renouveau pour le bénéfice des citoyens, prennent en réalité un tout autre sens, notamment lorsqu’elle considère dans son programme "eLearning", que l’Éducation et la formation sont, ensemble, un " domaine clef " permettant de " vivre et travailler dans la société de la connaissance " et qu’elle vise, pour l’Erurope, un " objectif stratégique majeur : devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable... ". Elle a beau se justifier par la volonté " ...d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ", mais là encore il faut réinterpréter le sens des mots : sous couvert de "qualité" et de "cohésion sociale" il est en réalité question de répondre aux besoins des entreprises en dispensant une éducation adaptée (qualité) ; pour y parvenir, il faut rendre compatible et uniforme les réglementations encadrant l’Éducation au sein de l’Union européenne (cohésion sociale). D’ailleurs, la Commission évoque plus loin que cet objectif " combine compétitivité et cohésion sociale ". Cela répond d’ailleurs aux vœux de l’OCDE et de l’ERT, évoqués plus haut, de combiner l’introduction des marchés de la nouvelle économie dans l’Éducation et de donner un rôle prépondérant aux industriels dans les orientations à prendre.

  La réalité des ambitions de la Commission européenne à propos de l’Éducation n’est pas perceptible aussi clairement car les textes qu’elle produit sont nombreux et dispersés. De plus, les informations révélatrices de cette déviance libérale sont noyées dans des introductions soporifiques et dans des exposés trop techniques pour être compris tels qu’ils devraient l’être. Ainsi, une telle interprétation des volontés de la Commission peut être perçue comme une attitude "réactionnaire et rétrograde" voire "paranoïaque", mais la Commission est beaucoup plus franche quand elle tente de faire taire toute contestation : considérant qu ‘elle a un mandat concernant les actions dans l’éducation et la culture, elle estime utile de développer l’éducation à distance qui est, selon elle, un service ; elle s’appuie alors sur la libre prestation des services, garantie par les articles 59 et suivants du traité d’Amsterdam, pour suggérer que les restrictions sur l’ouverture de l’éducation à la concurrence peuvent être irrecevables.

  Il ne s’agit pas ici de contester la nécessité de faire évoluer l’Éducation avec les progrès technologiques quels qu’ils soient dès l’instant où ils répondent à un besoin de l’élève. Ils doivent être un moyen et non une fin et doivent être contrôlés. Or l’orientation de l’AGCS appuyé par la Commission européenne tend vers l’inverse : faire de l’Éducation un nouveau marché dont l’une des finalités serait la maximisation des profits des nouvelles technologies en l’écartant du contrôle des États donc des citoyens. Il s’agit, dans le programme "eLearning" de la Commission, d’orienter l’Éducation vers la nouvelle économie. C’est en cela que les objectifs annoncés sont contestables(4).

  D’autant qu’en juillet 2000, la Commission européenne, représentée par deux groupes de travail ("Éducation et Culture" ainsi que "Entreprise et Information"), est partenaire du Partenariat Européen pour l’Éducation (PEE). Il s’agit encore d’un lobbie industriel représenté par des mastodontes des industries de l’informatique (Apple, IBM, Compaq, Intel,...), du Logiciel (Microsoft,...), de l’Internet (Cisco systems), des télécomunicaions (BT, Deutch telecom, France Télécom) et de l’Éducation privée.

  L’ambition générale du PEE est de conjuguer tous ces secteurs de l’industrie, d’en faire une structure dans laquelle l’Éducation s’intégrerait. De plus, ses propositions (ou exigences) vont dans le sens général du programme "eEurope" de la Commission européenne. Son document "l’e-Commerce dans l’éducation - Maximiser les avantages" complète même le programme "eLearning". il vise à promouvoir les technologies de l’information et de la communication (TIC). Dans son introduction on pourrait croire que ce programme est en mesure d’apaiser nos craintes, évoquées plus haut, puisqu’il y est question de participation " ouverte à tous [...], neutre et sans but lucratif " et pour " ... que ceux qui apprennent retirent le plus grand bénéfice possible des TIC ". Toutefois, dans cet esprit très louable, il est également question de représenter " ... les intérêts de tous les secteurs d’activités qui peuvent être impliqués ". Ce programme, rapproché à celui du "eLearning", laisse interrogateur quant à sa finalité profonde et l’interprétation qu’il faut faire de ses ambitions, d’autant que le PEE impose comme postulat l’inclusion des techniques du commerce électronique dans l’éducation et qu’il " va changer beaucoup d’aspects de la transaction qui se fait entre les enseignants et ceux qui financent et demandent de l’éducation ". Par ce biais l’éducation est assimilée à un service commercial comme un autre et il est donc tout à fait justifié de la faire entrer dans le champ du commerce électronique(5). Dans ce programme, il y est également suggéré d’obtenir des " revenus " en " gagnant l’attention de groupe d’individus(6) " ; de " restructurer le processus de diffusion de l’éducation " ; de " rejoindre le mouvement général d’introduction du commerce électronique " ; de " refonder la relation entre l’éducation et le commerce, et l’attitude des éducateurs devra changer ". Pour y parvenir, il y est proposé d’élaborer " l’ébauche de la manière dont la relation entre le commerce et l’éducation pourra être développée pour permettre le financement d’une plus grande quantité de contenu d’enseignement, et de façon bien plus efficace " en créant " des forums pour discuter, avec des enseignants et des représentants de l’industrie et du commerce ". A aucun moment il n’est question de gratuité. L’offre est toujours assortie de son paiement.

  Ces ambitions sont certainement destinées à devenir des programmes de la Commission européenne qui, nous l’avons dit, est partenaire de ce "Partenariat" (!).

  Au delà des contenus et des fournitures scolaires, il y a les "Partenariats Privés/Public" (PPP) déjà en vigueur et au sein desquels les élèves sont devenus, contre leur gré, des "clients" pour des multinationales qui n’ont à priori aucun point commun avec l’éducation, mais aussi pour celles qui en profitent pour exercer un monopole sur les fournitures. Ainsi en France, les PPP, perçus comme très modernes par la Commission européenne, permettent par exemple à Nestlé d’offrir des " fiches pédagogiques sur la nutrition " où leurs produit s’y trouvent bien évidemment en bonne place ; à Coca Cola d’offrir ballons et casquettes à son effigie aux élèves d’écoles "sans le sou" ; à Hachette (filiale de Matra) de sponsoriser la formation des maîtres ; ou encore, et bien que cela dépasse le cadre des PPP, le CIC dispense un apprentissage sur la bourse à travers un "jeu" de son cru(7). Les PPP sont la porte ouverte à toutes les dérives commerciales et à l’extension de monopoles privés comme nous les connaissons déjà avec la distribution de l’eau.

  Tous ces programmes de la Commission européenne répondent à la plus part des exigences des lobbies industriels, ils pourraient bien être le socle des négociation de l’AGCS au printemps 2001.

  En regard des enjeux, tant financiers qu’idéologiques, que représente l’éducation et plus particulièrement l’enseignement supérieur, il est difficile de concevoir que les industriels accepteraient de lâcher la prise que leur a donner la Commission européenne. Ils en tiennent un bout, nous tenons l’autre.

  Nous refusons de voir s’installer une éducation à deux vitesses : celle offrant à la vente un service de "qualité" accessible aux nantis et à ceux qui ne le sont pas forcément mais y accéderont alors au prix de sacrifices intolérables ; puis celle de base bonne pour ceux qui ne pourront jamais accéder au savoir faute de moyens et à qui on ne demandera pas de réfléchir mais d’être un potentiel de main d’œuvre bon marché.

  Nous refusons également de voir disparaître l’esprit critique, de voir s’installer l’asservissement, l’inégalité et l’individualisme dans un système scolaire où l’élève apprend la vie et a besoin de liberté, d’égalité et de fraternité. Les négociations de l’AGCS ont été interrompues suite à l’échec de l’OMC à Seattle en novembre 1999. Elles reprendront en mars 2001, elles doivent être un nouvel échec pour l’OMC et une victoire pour nous : l’AGCS doit resté immobilisé à terre.

Jean-Marc Fiorese
Groupe Éducation
Comité Nord-Essonne



Notes :

(1) A propos du "Comité 133" voir note 23 page 2 du document "ALERTE ROUGE SUR LE "133" - Textes annoté du CIG 2000 sur l'extension du vote à la majorité qualifiée" (document produit par le Comité Nord-Essonne) disponible au comité ou à l’adresse :
http://attac.org/fra/grou/doc/91/912.htm

(2) Programmes consultables sur le site de l’Union européenne :
Socrates : 
http://europa.eu.int/comm/education/socrates/agenar-fr.html
Leonardo da Vinci :  http://europa.eu.int/comm/education/leonardo/sip/sip-fr0.html

(3) Encore une fois les tenants de cette théorie limitent leur réflexion à "l’offre" (sujet) qui, par sa diversité, doit permettre à la "demande" de faire un choix "librement". La personne ("la demande") n’y est qu’une destination et non plus le sujet du raisonnement autour duquel devraient s’articuler des moyens pour lui permettre de bénéficier d’un service qui devrait être le même pour tous. En résumé : dans la pensée libérale l’offre est le sujet et la personne (perçue en "demande") est la destination, le complément ; alors que dans la pensée progressiste la personne est le sujet et le service ("offre" pour les libéraux) est la destination. L’opposition de ces deux pensées sont à bien comprendre pour avoir le recul nécessaire par rapport à l’information que l’on reçoit. C’est pourquoi il est important de savoir qui parle. Ainsi nous sommes en mesure d’appréhender correctement les volontés des lobbies relayés par l’OMC et la Commission européenne.

(4) Le groupe éducation du comité Nord-Essonne travaille sur ce thème de " l’éducation à distance " et du " commerce électronique dans l’éducation ". Ses travaux aboutiront certainement sur un texte beaucoup plus élaboré sur ce point.

(5) Emprunté à Marie Loriot - Note 1 de sa traduction de " L’e-Commerce dans l’éducation et l’apprentissage - Maximiser les avantages ".

(6) Encore une expression chère aux libéraux et dont la notion révèle le peu de considération qu’ils se font de "l’Homme" : "L’individu", un parmi les autres et identique aux autres, dépourvu de personnalité, il se fond dans la masse, seul il est insignifiant et ne représente rien, c’est son nombre qui importe car sa masse est le destinataire de "l’offre". C’est à l’opposé de la "personne", une parmi les autres et différente des autres par sa personnalité, ses besoins, ce qu’elle apporte, sa vie, ses objectifs, ses ambitions. Seule, elle représente des droits et des obligations, elle demeure importante par ce qu’elle apporte à la société ; la société doit répondre à ses besoins auxquels elle n’est pas en mesure de répondre elle même. Encore une fois, d’un coté le sujet est "l’offre" et de l’autre il est "la personne" (cf. note 2).

(7) Ce jeu, intitulé " Masters de l’économie " à suscité de vives réactions au début de l’année 2000. En principe proscrit par le bulletin officiel n° 30 du 2 septembre 1999 du Ministère de l’Éducation nationale, ce jeu s’est déroulé de janvier à mars 2000, jusqu’à son terme. Jack Lang, nouveau Ministre de l’Éducation arrivé en pleine campagne du CIC, s’est entretenu avec une délégation d’ATTAC et avait promis qu’il n’y aura pas d’autre " Masters ". Il faut croire que ces paroles n’ont pas été suivies d’effet puisque le CIC récidive pour 2001. A ce propos voir ATTAC - courriel d’information n°117 et 118 des 10 et 14 mars 2000 :
http://attac.org/attacinfo/attacinfo118.zip
http://attac.org/attacinfo/attacinfo117.zip



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Sources

Ce texte à été rédigé grâce à la consultation des documents suivants :

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PUBLICATIONS

- OMC - Alerte Générale à la Capture des Services publics.
Brochure de la CCC-OMC, réalisée en grande partie par les membres de l’Observatoire de la mondialisation.
Avril 2000 - 23 pages - 10 francs - Disponible au Comité ou sur commande à :
Coordination pour le Contrôle Citoyen de l’OMC (CCC-OMC)
44, rue Montcalm
75018 Paris
Métro Jules Joffrin

Tel : 01.46.06.46.30 - 01.42.58.82.18
Fax : 01.46.06.41.07

http://www.cccomc.org


- L’école, grand marché du XXIè siècle
Par Gérard de Sélys
Le Monde Diplomatique - Juin 1998 p 14 et 15

Disponible sur le site du Diplo à l’adresse :
http://www.monde-diplomatique.fr/1998/06/DE_SELYS/10584.html


- AGCS, le saviez-vous ?
Par Olivier Hoedeman
ATTAC - Courriel d’information n° 181 - 31/10/00

Disponible à l’adresse suivante (téléchargement) :
http://attac.org/attacinfo/attacinfo181.zip

 



TEXTES OFFICIELS

- Cycle du millénaire de l'OMC
Résolution du Parlement européen sur la communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur l'approche de l'UE en vue du cycle du millénaire de l'OMC
Parlement européen
A5-0062/1999 - 1999

Disponible à l’adresse suivante :
http://www.europarl.eu.int/ppe/tree/press/pthem99/com-wto_reschwai-fr.htm


- Accord général sur le commerce des services
L’éducation en péril de marchandisation
Traduction des points 31 et 34 du texte du secrétariat de l’OMC (ci-dessous)
Par Daniel Monteux
SNES - (Pas de date)

Disponible à l’adresse suivante :
http://www.snesup.fr/utilites/en_cours/d_monteux_education.htm


- Extraits traduit de : Concil for Trade in service - Éducation services - Background Note by the Secretariat
OMC - S/C/W/49 - 23 septembre 1998

Disponible à l’adresse suivante :
http://www.wto.org/english/tratop_e/serv_e/w49.doc


- Livre Blanc de la Commission européenne
Enseigner et apprendre - Vers la société cognitive
Commission des Communautés européennes
COM(95)590

Disponible à l’adresse suivante (téléchargement) :
http://europa.eu.int/comm/education/lb-fr.pdf


- Communication de la Commission
e-Learning - Penser l’éducation de demain
Commission des Communautés européennes
COM(2000) 318 final Bruxelles 24/05/00

Disponible à l’adresse suivante (téléchargement) :
http://europa.eu.int/comm/education/elearning/comfr.pdf


- L’e-Commerce dans l’Éducation et l’apprentissage - maximiser les avantages
Lobbie "Partenariat Européen pour l’Éducation" - Juillet 2000
Traduit de l’anglais par Marie Loriot du groupe Éducation du Comité Nord-Essonne.

Disponibles au Comité ou par courriel :
education.nordessonne@attac.org

Version originale :
Discussion paper - e-Commerce in Education and Learning - Maximising the benefit
http://www.eep-edu.org/ecommerce.pdf




A lire également

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PUBLICATIONS


- L’Éducation victime de cinq pièges
Par Ricardo Petrella
ATTAC - État des lieux (pas de date)
Sujet : L’évolution et la perception de l’éducation dans un contexte de plus en plus libéral

Disponible à l’adresse suivante :
http://attac.org/fra/list/doc/petrella.htm


- L'OMC et L'AGCS -- Pourquoi les enseignantes et les enseignants devraient les redouter
par Harvey Weiner
Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants - 10 octobre 2000

Disponible à l’adresse suivante :
http://www.ctf-fce.ca/f/notre/autre/OMC-AGCS.htm



 

TEXTE OFFICIEL


- Document de fond sur le commerce des services
Gouvernement canadien
Sujet : Définition libérales des notions de "service", "barrière", "contrainte", "entrave"etc. et questions posées aux investisseurs sur leurs difficultés d’investissement à l’étranger dans le domaine des services.

Disponible à l’adresse suivante :
http://strategis.ic.gc.ca/SSGF/sk00032f.html




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