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AGCS: menaces précises sur l'éducation
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Source / titre: Le marché de l'enseignement
Date: Sam Mai 17, 2003 4:31 pm

LE MARCHE DE L’ENSEIGNEMENT

On pourrait trouver ce titre provocateur. C’est pourtant ainsi que s’intitulait le document de base[i] élaboré par les services de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) à la veille des négociations sur la mise en ½uvre de l’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS).

Pour les protagonistes de cet accord, aux premiers rangs desquels les documents qu’ils produisent ou cautionnent obligent à placer la Commission européenne et les quinze gouvernements qui la soutiennent, l’éducation n’est plus un droit assuré par un service, ce n’est plus qu’un marché qu’il faut impérativement ouvrir à la concurrence. La grande ambition inscrite dans les textes les plus fondamentaux sur le droit pour tous au savoir est reléguée aux oubliettes. Mme Viviane Reding, commissaire européenne à l’éducation et à la culture l’affirmait dans un récent article : « il faut rendre nos universités compétitives sur le marché mondial de l’enseignement supérieur. [ii]» Elle faisait ainsi écho à une déclaration du représentant de l’Union européenne auprès de l’OMC affirmant, en juin 2000, « l’éducation et la santé sont mûres pour la libéralisation. » Ce n’est plus l’éducation pour tous ; à l’avenir ce sera l’éducation pour ceux qui peuvent la payer ! On entre dans le 21e siècle en rétrogradant au 19e.

Comment en est-on arrivé là ?

C’est dans le cadre de l’Uruguay Round qu’ont été négociés les Accords de Marrakech. Ces accords ont été signés par les gouvernements en 1994 et ratifiés par les parlements l’année suivante. La responsabilité des élus est donc entière. Ces Accords qui, notamment, créent l’OMC, constituent le corpus même de la globalisation. Ils ne sont pas le résultat d’une fatalité, mais bien l’effet d’une volonté ou, à tout le moins, d’une complicité des acteurs politiques avec les décideurs économiques transnationaux très présents tout au long des huit années de négociations de l’Uruguay Round.

L’OMC est aujourd’hui l’organisation internationale la plus puissante du monde. En effet, elle elle concentre le pouvoir de faire les règles, de les appliquer et de sanctionner les pays qui ne les respectent pas. De plus, elle est la seule institution internationale qui dispose du pouvoir d’imposer le respect des règles qu’elle gère. En outre, ces règles dépassent très largement les questions strictement commerciales. Enfin, l’OMC fonctionne dans des conditions d’opacité et d’oligarchie qui soumettent les pays qui en sont membres à la volonté des plus puissants (Europe, Etat-Unis, Japon, Canada).[iii] Avec l’OMC et les pouvoirs qu’elle est la seule à détenir, le droit de la concurrence commerciale l’emporte sur tous les autres droits et en particulier les droits humains fondamentaux, les droits économiques, sociaux et environnementaux reconnus aux citoyens par les dispositions constitutionnelles ou légales adoptées dans le cadre national ou dans le cadre de pactes internationaux.

L’AGCS, la machine à privatiser l’éducation

L’AGCS est un des accords gérés par l’OMC dont la cible est formée par «les mesures qui affectent le commerce des services » (article 1,1- portée), le terme « mesures » signifiant pudiquement les législations, réglementations et procédures et toutes les décisions administratives nationales, régionales et locales (article 28 – définitions) prises par « des gouvernements ou administrations centraux, régionaux ou locaux et par des organismes non gouvernementaux lorsqu’ils exercent des pouvoirs délégués » par les pouvoirs publics (article 1,3 a).

L’AGCS entend donc agir sur les législations et les réglementations nationales et locales en ce compris lorsqu’elles concernent des institutions privées qui remplissent des missions d’intérêt général.

Dans quel but ? Comme l’affirment les considérants 2 et 3 du texte ainsi que son article 19 : « élever progressivement le niveau de libéralisation du commerce des services. »

Comment ? Par «des séries de négociations successives qui auront lieu périodiquement. » Lors de chaque série de négociations, chaque Etat sera invité à procéder à de nouvelles libéralisations de secteurs de services qu’il ne s’était pas jusqu’alors engagé à libéraliser (article 19).

De quels services s’agit-il ? Le texte est très clair : il s’agit de « tous les services de tous les secteurs à l’exception des services qui ne sont fournis ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services « (article 1, 3 b et c). On s’en rend compte, à l’exception de certains services régaliens de l’Etat (la défense, la justice, les services administratifs des pouvoirs centraux et locaux), tous les services sont soumis à l’AGCS. Et l’éducation est, dans presque tous les pays du monde, un service rendu par les pouvoirs publics, mais également fourni, en concurrence, par des réseaux privés. L’éducation ne bénéficie pas de l’exception indiquée ci-dessus.

C’est la raison pour laquelle, les services de l’OMC ont d’ores et déjà segmenté le « marché de l’éducation » en 5 secteurs[iv] :

1. secteur primaire : l’enseignement maternel et l’enseignement primaire ;

2. secteur secondaire : l’enseignement secondaire du premier et du second cycle, l’enseignement technique, l’enseignement professionnel et l’enseignement à destination des handicapés ;

3. secteur supérieur : l’enseignement technique et professionnel du troisième degré, l’enseignement universitaire

4. secteur d’éducation des adultes : cours du jour ou du soir destinés aux adultes, éducation tout au long de la vie, « open university », cours d’alphabétisation, cours par correspondance, cours donnés par la radio ou la télévision ;

5 secteur des autres services d’enseignement : toutes les autres activités d’enseignement qui ne peuvent pas être reprises dans les quatre premiers secteurs, y compris les cours particuliers à domicile.

L’AGCS agit sur les législations, réglementations et procédures existantes par diverses approches. Il impose des obligations à tous les Etats membres de l’OMC et aux pouvoirs subordonnés au travers de quatre modes de fourniture des services (article 1,2 et, pour le mode 4, Annexe à l’AGCS sur le mouvement des personnes physiques) :

- Mode 1 : la fourniture transfrontalière de services ; ex. : une institution qui dispense des cours dans un pays A et qui en organise également dans un pays B ; par exemple, les cours à distance : en vertu de l’AGCS, il y a exportation du pays A vers le pays B ;

- Mode 2 : la consommation transfrontalière de services ; ex : un étudiant d’un pays A qui suit des cours dans un pays B : en vertu de l’AGCS, il y a exportation du pays B vers le pays A ;

- Mode 3 : un fournisseur de services d’un pays A qui s’installe sur le territoire d’un pays B ; une université d’un pays A qui s’implante dans un pays B : en vertu de l’AGCS, il y a exportation du pays A vers le pays B (on notera qu’on se trouve ici en présence d’un accord multilatéral sur l’investissement dans le domaine des services) ;

- Mode 4 : la possibilité pour un fournisseur de services d’un pays A de faire appel à du personnel d’un pays B, pour une période déterminée, avec les règles salariales et sociales du pays B ; ex : un établissement scolaire d’un pays A doté de règles en matière de salaires, de conditions de travail, de protection sociale qui fait appel pour un an à un enseignant venant d’un pays B où ces règles sont inexistantes ou moins avantageuses ; en vertu de l’AGCS, il y a exportation d’un service d’éducation du pays B vers le pays A.

Les règles de l’AGCS s’appliquent aux législations, réglementations et procédures nationales et locales qui concernent ces quatre modes.

A tous les Etats membres de l’OMC, l’AGCS impose en particulier deux obligations générales : le traitement de la nation la plus favorisée et la transparence.

Le traitement de la nation la plus favorisée oblige chaque Etat à accorder à tous les fournisseurs de services de tous les Etats membres le même traitement que celui qu’il accorde au fournisseur de service de l’un d’entre eux. Un Etat A qui a concédé des immunités fiscales à une entreprise de pompage d’eau d’un pays B, est obligé de faire une concession identique aux entreprises de pompage d’eau de tous les Etats membres de l’OMC.

Au titre de la transparence, chaque Etat doit fournir à l’OMC l’ensemble de ses législations, réglementations et procédures nationaux et locaux en rapport avec la fourniture de services. Les USA proposent que ces « mesures » soient soumises à l’OMC avant d’être approuvées par les institutions nationale ou locales compétentes. Un certain nombre d’acteurs politiques européens ne sont pas du tout hostiles à cette proposition comme le démontre la réaction du président de la Région de Bruxelles à la proposition de privilégier des produits provenant du commerce équitable pour les cantines des écoles et des administrations et qui a estimé qu’une telle proposition devait être préalablement soumise à la Commission européenne et à l’OMC.

L’AGCS entend aussi soumettre les Etats à des « disciplines » en matière de subventions afin que celles-ci n’exercent pas des effets de distorsion sur le commerce des services (article 15) Ces « disciplines » seront élaborées au sein de l’OMC.

Dès lors qu’un Etat prend l’engagement de libéraliser un secteur de services donné, l’AGCS impose des obligations spécifiques. Elles concernent la transparence, les législations et réglementations intérieures, l’accès au marché et le traitement national .

Mais que signifie prendre un engagement ? Cela veut dire tout d’abord que, lors d’une phase de négociations, l’Etat indique, pour le secteur concerné, l’état de libéralisation. Cela signifie, automatiquement, que cet état de libéralisation est protégé contre toute nouvelle forme d’intervention des pouvoirs publics. L’engagement porte ensuite sur les intentions de l’Etat par rapport à ce secteur : ce qu’il se propose à libéraliser davantage, pour quel mode de fourniture de services et, éventuellement, les limites qu’il impose à ce processus, ces limites au processus de libéralisation étant susceptibles d’être revues lors d’une autre phase de négociations. Les limites doivent être formellement indiquées dans une liste d’exemptions au traitement de la nation la plus favorisée. Cette liste permet de connaître, pour le secteur concerné, le degré d’application des obligations de l’AGCS pour chacun des modes de fourniture.

Pour chaque secteur engagé dans le processus de libéralisation, les obligations spécifiques auxquelles est soumis chaque Etat se présentent comme suit :

- au titre de la transparence, fournir à l’OMC au moins chaque année, les nouvelles dispositions normatives et réglementaires ainsi que les modifications aux dispositions existantes en rapport avec le secteur concerné ;

- en ce qui concerne les législations, réglementations et procédures légales et administratives des pouvoirs centraux, régionaux et locaux des Etats, celles-ci ne pourront pas être « plus rigoureuses que nécessaire » afin de ne pas constituer des « obstacles non nécessaires au commerce des services » (article 6.4). L’AGCS confie à l’OMC le soin d’élaborer des «disciplines» qui identifieront ces obstacles. Parmi les propositions en discussion : les critères de définition de l’eau potable, les normes de qualification professionnelle, les normes de sécurité sur les lieux de travail, les tarifs préférentiels imposés par les pouvoirs publics en faveur des personnes nécessiteuses pour l’eau, l’électricité, le gaz et le téléphone, le salaire minimum garanti… ; on notera qu’en vertu de l’article 6.5, ces disciplines se substitueront aux « normes internationales des organisations internationales compétentes » une fois que l’OMC les aura adoptées ;

- si des engagements sont pris en matière d’accès aux marchés pour un secteur donné, l’Etat n’a plus le droit d’imposer une série de limitations portant sur le nombre de fournisseurs, sur la valeur des transactions, sur le nombre total d’opérations, sur le nombre de personnes physiques employées, sur les types d’entités juridiques, sur le volume du capital étranger investi ;

- pour tout secteur pour lequel un engagement est pris, la règle du traitement national s’applique. Elle consiste à accorder aux fournisseurs de services étrangers le même traitement qu’aux fournisseurs de services nationaux.

Ces obligations spécifiques ont des conséquences importantes :

a) quand un pays prend un engagement d’accorder, sans restrictions, un accès au marché aux fournisseurs de services, cela signifie qu’il doit renoncer au monopole de service public dans les secteurs concernés ;

b) quand un pays prend un engagement d’accorder sans restriction le traitement national à un secteur de services, cela signifie que dans ce secteur, toute forme de distinction entre secteur marchand et secteur non-marchand doit disparaître, car il est interdit d’accorder à des services de ce secteur des subventions, des prêts, des garanties sur prêts, des dons ou quoi que ce soit qui pourrait altérer la libre concurrence ;

c) l’application du principe du traitement national conduit, quasi mécaniquement, de la libéralisation à la privatisation, car les pouvoirs publics seraient financièrement asphyxiés s’ils devaient respecter ce principe ;

d) ces engagements mettent fin au libre choix démocratique. En effet, les règles relatives à l’accès au marché et au traitement national vont enlever aux institutions démocratiques tout pouvoir d’adopter des politiques conformes aux besoins particuliers de la localité, de la province, du département, de la région ou de l’Etat. En outre, une fois un engagement pris, il est de facto irréversible. En effet, l’article 21 de l’AGCS précise que tout Etat qui voudrait modifier ses engagements dans un sens qui ne va pas vers plus de libéralisation aurait à négocier avec tous les autres Etats membres de l’OMC des compensations financières qu’ils seraient en droit d’exiger. En cas de désaccord, c’est l’organe de règlement des différends de l’OMC qui trancherait. Comme le constatait l’ancien directeur du Département des Services à l’OMC, M. David Hartridge, les engagements pris au titre de l’AGCS sont « effectivement irréversibles. [v]» Ce qui signifie très clairement que les citoyens, au travers des élections, n’ont plus la possibilité de renverser les choix d’un gouvernement dont les conséquences se seraient avérées dommageables pour la collectivité.


Une liberté toute théorique

«Aucun Etat n’est obligé d’engager un secteur de services dans un processus de libéralisation,» répètent à satiété les défenseurs de l’AGCS, au premier rang desquels on trouve le Commissaire européen Pascal Lamy. Mais qu’en est-il vraiment de cette autonomie des Etats par rapport à l’AGCS ? Que reste-t-il du droit souverain de chaque pays à réglementer chez lui conformément aux v½ux des populations ? Qu’en est-il de cette prétendue « flexibilité » de l’AGCS sans cesse invoquée par M. Lamy ?

Observons tout d’abord que tout Etat, une fois membre de l’OMC, est tenu d’en appliquer tous les accords. Notons également que l’AGCS impose à tous les gouvernements le respect d’obligations générales qui ne souffrent aucune exception. Constatons enfin que, dans le même temps où il tient de tels propos, Pascal Lamy, avec le soutien des 15 gouvernements européens, propose d’élever le niveau des engagements, ce qui signifie pousser un maximum de pays à engager un maximum de secteurs de services dans un processus de libéralisation. Ainsi, à l’initiative de l’Union européenne, la conférence ministérielle de l’OMC, réunie à Doha en novembre 2001, a décidé d’un calendrier incitant les pays à entrer dans ce processus. L’affirmation du Commissaire européen relève désormais de la théorie, puisque chaque Etat est soumis aux demandes de libéralisation des autres et est lui-même obligé d’offrir (c’est le terme utilisé) des secteurs de services au Moloch du libre-échange absolu.

Le 30 juin 2002, en application des décisions prises à Doha, la Commission européenne, au nom des peuples d’Europe, a demandé à 109 pays[vi] de s’engager à libéraliser un certain nombre de secteurs de services chez eux. Profitant de la complicité ou de l’indifférence des 15 gouvernements, la Commission, sans s’appuyer sur la moindre base légale, avait imposé le secret absolu. Grâce à des citoyens courageux, ces 109 documents ont fort heureusement été divulgués depuis lors.[vii] On apprend ainsi que, contre l’avis de plusieurs gouvernements,[viii] la Commission européenne a demandé aux Etats-Unis de libéraliser le secteur 5 de l’enseignement. La réciproque est permise.

Selon la Commission européenne elle-même, les demandes adressées par les Etats membres de l’OMC à l’Union européenne visent, pour la moitié d’entre elles la libéralisation des secteurs 3, 4 et 5 du « marché de l’éducation » ; ces demandes visent les quatre modes de fourniture du service de l’éducation. Sans préciser lesquels, la Commission annonce qu’ « un certain nombre de pays demandent l’élimination de toutes les réserves également pour les secteurs 1 et 2.[ix]»

Des exceptions en trompe l’oeil

Pascal Lamy [x] et les 15 gouvernements de l’Union européenne s’emploient à étouffer les craintes en affirmant qu’on ne touchera pas à l’enseignement. Parfois même, ils n’hésitent pas à dire le contraire de la vérité en affirmant que l’enseignement est protégé par l’exception invoquée à l’ article 1, 3 b et c de l’AGCS (voir page 3). Rien n’est plus mensonger. L’AGCS s’applique à chaque pays où le service de l’enseignement connaît une situation où on se trouve « en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services. » Ce qui est le cas de l’immense majorité des pays du monde. En outre, pour ce qui concerne les pays de l’Union européenne, la Cour de Justice des Communautés européennes a statué et considéré que les services d’enseignement ne constituent pas une activité pratiquée sous l’exercice de l’autorité officielle[xi].

En 1994, lors de la signature des Accords de Marrakech et donc de l’AGCS, les gouvernements ont eu une première possibilité de prendre des engagements de libéralisation, mais également de formuler des exemptions à certains de ces engagements. C’est ainsi que la Commission européenne a pris des engagements pour les secteurs 1, 2, 3 et 4 (primaire, secondaire, supérieur et d’éducation des adultes). Ce qui signifie que la Commission européenne s’est engagée à ne pas imposer de nouvelles mesures qui restreindraient l’entrée de fournisseurs de services privés, leur accès au marché de l’éducation et la mobilité du personnel dans ces quatre secteurs. Par contre, la Commission a formulé des exemptions afin de protéger l’éducation publique dans les quatre secteurs concernés.

Mais que valent ces exemptions ? Pascal Lamy se garde bien de rappeler le point 6 de l’Annexe à l’AGCS relative aux exemptions. Ce point dispose que « en principe les exemptions ne devraient pas dépasser une période de dix ans. »

Dans les documents qu’elle a fournis, début 2003, aux 15 gouvernements, sur les exemptions au traitement de la nation la plus favorisée,[xii] la Commission européenne indique que les exemptions prises en 1994 et confirmées au début de cette année sont d’une durée « indéfinie». Mais, un mois plus tôt, dans un autre document, elle rappelait l’impossibilité de prolonger les exemptions[xiii].

Alors, que faut-il en conclure ? Que se passera-t-il en 2004, dix ans après le dépôt des listes d’exemptions sur l’éducation ? L’éducation publique survivra-t-elle à la fin des exemptions ?

La duplicité des gouvernements et l’opacité qui entoure ces négociations, tant au niveau des institutions européennes que de l’OMC, placent, comme le souligne l’Internationale de l’Education,[xiv] les populations et les premiers concernés (parents, enseignants, élèves) « devant des faits accomplis sans qu’ils aient pu exprimer leur point de vue. » On est bien revenu au 19e siècle.

Raoul Marc JENNAR
Chercheur auprès d’Oxfam Solidarité (Belgique) et de l’URFIG (Bruxelles-Paris-Genève)
Tél : (32) (0) 478 913 812
Email : raoul.jennar@oxfamsol.be ou rmj@urfig.org ; Site Web : www.urfig.org

NOTES
[i] OMC, S/C/W/49, 23 septembre 1998, (98-3691) & classification de l’OMC : doc MTN-GNS/W/120. Le document a reçu depuis lors un nouveau titre : les services de l’enseignement.

[ii] Le Monde, 28 janvier 2003.

[iii] JENNAR (Raoul Marc), L’Organisation mondiale du commerce et le déclin de la démocratie, in Res publica, février 2003, n°32 p.36-41.

[iv] voir note 1

[v] HARTIDGE (David), What the General Agreement on Trade in Services can do. Communication présentée à Londres le 8 janvier 1997 lors d’un colloque organisé sur le thème « Opening markets for banking worldwide : the WTO General Agreement on Trade in Services” par British Invisibles et le cabinet conseil Clifford Chance.

[vi] dont 94 sont classés comme pays en développement et, parmi ceux-ci, 29 qui figurent parmi les pays les plus pauvres du monde. Aussi longtemps que ces demandes étaient secrètes, le Commissaire Lamy affirmait qu’aucune demande n’était adressée à ces derniers…

[vii] Ils sont disponibles sur le site: http://www.gatswatch.org/requests-offers.html. De même, les offres européennes de libéralisation déposées au printemps 2003 sont également accessibles sur le même site.

[viii] Autriche, Belgique, Finlande et Suède. Voir http://www.urfig.org/francais.htm : campagne agcs : La position belge concernant les relations entre Education et Accord Général sur le Commerce des Services (30 août 2002).

[ix] European Commission, Directorate-General for Trade, WTO Members’ Requests to the EC and its Member States for Improved Market Access for Services; consultation document, 12 November 2002.

[x] Le Monde, 6 février 2003.

[xi] Cour de Justice des Communautés Européennes, affaire 147/86 : Commission européenne versus République de Grèce, Rec. 1637.

[xii] voir le site http://www.gatswatch.org/requests-offers.html.

[xiii] Voir note 7.

[xiv] Internationale de l’Education, 5, bd Albert II, B 1210 Bruxelles, Belgique ; site Web : www.ei-ie.org

Source / titre: AGCS: menaces précises sur l'éducation
Date: Jeu Oct 24, 2002 10:47 am

En écrivant une lettre ouverte au Directeur général de l'UNESCO (L' Humanité du 25 septembre) pour lui faire part des menaces sérieuses que fait peser sur le droit à l'enseignement l'Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS), nous n'étions pas inspirés par la peur, comme le laisse entendre le secrétaire d'Etat au Commerce, F. Huwart (L'Humanité du 2 octobre). Ayant pris connaissance des textes négociés dans le secret et ratifiés dans l'indifférence ou la connivence, refusant de nous laisser endormir par les propos lénifiants des gouvernants et de la Commission Européenne et scrutant ce qui se négocie vraiment au siège de l'Organisation Mondiale du Commerce à Genève, il était devenu évident pour nous qu'un cri d'alarme s' imposait. Il y a en effet urgence pour les citoyens, dont le mandat confié aux gouvernants est sans cesse outrepassé, de s'approprier le débat sur leur avenir dans des matières aussi importantes que l' éducation, la culture ou la santé.

L'éducation est-elle vraiment en passe d'être soumise aux lois du marché ? « Non, disent les gouvernements des Quinze et la Commission Européenne. Nous l'avons protégée. » Pour rester poli, je me contenterai de répondre qu'ils affirment la chose qui n'est pas. Point n'est besoin d'invoquer, comme le fait M. Huwart, d'hypothétiques malentendus. Les textes parlent d'eux-mêmes. Et si les mots ont encore un sens, ils ne souffrent pas d'interprétations divergentes. La libéralisation de l'éducation est programmée.

Mais, tout d'abord, rappelons ce dont il s'agit. Il s'agit tout d' abord d'un droit fondamental : celui de l'accès libre et égal pour tous à l'éducation. Un droit proclamé dans un grand nombre d' instruments juridiques internationaux ; un droit dont la mise en oeuvre tarde encore dans nombre de pays, en particulier dans les pays du Sud, mais également, au nom de la libre concurrence, dans des pays comme les Etats-Unis. Mais il s'agit aussi d'une activité dont le poids économique est considérable. En effet, la mise en ouvre de ce droit mobilise aujourd'hui plus de mille milliards de dollars en dépenses publiques. L'éducation publique rassemble plus de 50 millions d' enseignants et plus d'un milliard d'élèves répartis dans des centaines de milliers d'établissements scolaires. Qui s'étonnera, dès lors, qu'à l'OMC, on ne parle plus que de « marché de l'éducation ? »

Pour mettre en oeuvre les principes qui fondent l'éducation publique, les gouvernements ont, au fil du temps, pris des dispositions variées relatives aux subventions, aux critères de délivrance des diplômes, aux habilitations à délivrer un enseignement, à la protection de certaines spécificités sociales et culturelles, parfois même au monopole de l'enseignement public, etc. Toutes ces dispositions sont dès à présent considérées comme des « exemptions », tolérées pour un temps dans le processus de la libéralisation des services, car ces dispositions constituent des « obstacles au commerce ».

Pour six raisons au moins, il faut considérer que, désormais, l'éducation publique, instrument de réalisation du droit fondamental rappelé plus haut, est dans la ligne de mire des tenants du néolibéralisme aux commandes au sein de la Commission Européenne et de l'OMC.

Première raison : la caractère évolutif de l'AGCS signé en 1995. Cet accord, à la différence de beaucoup de traités internationaux, ne constitue pas un aboutissement, mais bien un point de départ. Son article XIX précise en effet que « les Membres engageront des séries de négociations successives, qui commenceront cinq ans au plus tard après l'entrée en vigueur de l'Accord sur l'OMC et auront lieu périodiquement par la suite, en vue d'élever progressivement le niveau de libéralisation. (.) Le processus de libéralisation progressive sera poursuivi à chacune des négociations (.). »Ce caractère ininterrompu du processus de libéralisation enlève toute garantie de voir un secteur du domaine des services lui échapper à terme. Ce qui n'aura pas été libéralisé aujourd'hui pourra l'être demain, dans le cadre du même traité. Et même au-delà de celui-ci, si on se réfère au document déposé à l'OMC, le 13 juillet dernier, par la mission américaine qui affirme, évoquant les restrictions actuellement autorisées : « Notre défi est d'accomplir une suppression significative de ces restrictions à travers tous les secteurs de services, abordant les dispositions nationales déjà soumises aux règles de l'AGCS et ensuite les dispositions qui ne sont pas actuellement soumises aux règles de l' AGCS et couvrant toutes les possibilités de fournir des services. »

Deuxième raison : l'AGCS n'offre aucune garantie qu'on ne touchera jamais à l'éducation. Il est vrai qu'une réserve est inscrite dans le texte (article I) : l'AGCS ne s'applique pas aux « services fournis dans l'exercice du pouvoir gouvernemental », c'est-à-dire « tout service qui n'est fourni ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services. » Mais quel est le pays où un enseignement privé ne concurrence pas tout ou partie de l'enseignement public ? La majorité des pays ont des systèmes éducatifs hybrides. Cette réserve est donc inopérante dans le domaine de l'éducation.

Troisième raison : dès à présent - et depuis 1998 - dans les documents de travail préparés à l'OMC, l'éducation est traitée comme un marché divisé en cinq secteurs : enseignement primaire, enseignement secondaire, enseignement supérieur, enseignement aux adultes et autres services d'enseignement. Le terrain est préparé pour la conquête par les entreprises privées de services. L'OMC les invite d'ailleurs à fournir, pays par pays, la liste de tous les obstacles à la libre concurrence qu'ils soient législatifs ou réglementaires, nationaux, régionaux, provinciaux, départementaux ou locaux.

Quatrième raison : on observe depuis une dizaine d'années une tendance soutenue à la commercialisation de l'éducation. Le discours dominant présente de plus en plus souvent ce secteur, jusqu'ici considéré comme un service public, comme un marché où très légitimement les grandes entreprises privées de services seraient fondées à faire du profit. Dans plusieurs pays d'Asie, l'importation de services d'éducation s' est généralisée. En 1996, elle représentait 58% des exportations américaines dans ce secteur.

Cinquième raison : le contrôle qu'un grand nombre de pays industrialisés ont voulu garder sur le secteur éducatif, en 1995 à la signature de l'AGCS, fléchit sérieusement si on s'en réfère, par exemple, à certaines propositions avancées par le gouvernement canadien.

Sixième raison : l'attitude de la Commission Européenne, véritable fer de lance de la croisade néolibérale. En 1995, elle s'est engagée pour 12 des 15 pays (l'Autriche, la Finlande et la Suède ont refusé d' entrer dans ce mécanisme) à ne pas imposer de nouvelles mesures qui restreindraient l'accès au marché dans quatre des cinq secteurs du « marché de l'éducation .» En échange de quoi, ces secteurs sont momentanément protégés. Jusqu'à révision des engagements et des exemptions qu'ils impliquent. Une nouvelle étape a été franchie en 1998, lorsque la Commission Européenne a signé avec les Etats-Unis un accord sur « le partenariat transatlantique » qui, dans le domaine des services, stipule que les Etats-Unis et l'Union Européenne négocieront des accords afin de « parvenir à un engagement général en faveur de l' accès inconditionnel au marché dans tous les secteurs. » Depuis le début de cette année, sans que les gouvernements des Etats membres - et encore moins les parlements - en aient débattu, la Commission dépose à l'OMC des « notes informelles » qui engagent l'Union Européenne dans un processus de libéralisation progressive des services en ce compris l'éducation.

Quand donc rappellera-t-on à Romano Prodi et à Pascal Lamy les articles 149, 150 et 151 du Traité instituant la Communauté européenne qui imposent aux institutions européennes de « respecter pleinement la responsabilité des Etats membres pour le contenu de l'enseignement et l'organisation du système éducatif ainsi que leur diversité culturelle et linguistique » et qui excluent du champ de compétence de ces institutions, dans le domaine de l'éducation et de la culture, « toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des Etats membres. »
(Extrait de l'Ecole démocratique n°7 , juillet-septembre 2001)

Dr Raoul Marc Jennar Politologue, chercheur auprès d'Oxfam-Solidarité (Belgique) et de l' Unité de Recherche, de Formation et d'Information sur la Globalisation (URFIG), promoteur de la « lettre ouverte au Directeur général de l' UNESCO »

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