Commentaire à propos du « Guide républicain »



Le Ministère de l’Éducation nationale a publié, en 2004, un livre intitulé « L’idée républicaine aujourd’hui, Guide républicain. » Ce livre est actuellement diffusé dans les lycées et collèges. Après lecture, l’une des membres du Collectif Attac IDF Education nous a livré ce que lui inspire cet ouvrage. Nous avons alors cherché à savoir qui étaient les auteurs de ce livre au statut étrange. Après avoir lu attentivement le "Guide républicain" on se dit qu'il ne mérite pas le caractère pédagogique que le Ministère de l’Education nationale lui attribue. Même s'il peut paraître intéressant au premier abord, on le trouve assez vite irritant.

En effet, ce « guide républicain » s’inscrit complètement dans le discours officiel et la légende de la République française des grands idéaux : lutter contre le racisme, l'intolérance. C’est vrai qu’en ce sens il est indispensable de rappeler les luttes pour libérer notre pays de l’occupation quand on sait que des étrangers ou des Français de fraîche date ont donné leur vie entre 1940 et 1945 pour la victoire. L’intention est donc bonne. Mais au fil de la lecture il apparaît que rien n’est dit sur les luttes pour accéder à un niveau de vie décent et pour lesquelles nombreux hommes et femmes issus du peuple se sont mis en danger... on ne sait jamais, cela pourrait donner de mauvaises idées dans les banlieues "chaudes" !

Ainsi, ce « guide républicain » propose un choix de documents mêlant des textes de chansons à des passages de textes fondateurs comme l'actuelle constitution française. Si ces documents sont certes importants, le choix proposé et les thèmes abordés sont très convenus, ils ne reflètent que le politiquement correct dont on nous rebat les oreilles dans les médias généralistes bien pensants sans analyser les graves problèmes suscités par la crise de valeurs républicaines comme la tolérance, l’antiracisme, la laïcité, l’intégration, l’égalité homme/femme, etc. Il est évident que toute aspérité est gommée dans le présent comme dans le passé ; ce « guide » n’évoque pas la Commune par exemple. Aussi, en privant le lecteur de toute réflexion sur les droits sociaux, il écarte le caractère populaire de ceux-ci acquis par la lutte et donc hautement symboliques d’une République démocratique. Ce refus d’inscrire dans l’histoire la longue et difficile conquête de droits sociaux actuellement remis en cause montre combien certains semblent redouter le caractère exemplaire des luttes populaires du XIXème et du XXème siècles et confirme, après les coupes des programmes scolaires par M.Allègre, que l’absence de l’histoire dans « le socle » d’inspiration européenne prôné par MM.Dubet, Thélot et Fillon n’est pas vraiment un oubli.

D'où la remarque très juste du syndicat Sud Education Réunion dans le courrier des lecteurs de"Témoinage" à propos des omissions au préambule à la constitution de 1946 :
« Le lecteur naïf se dira certainement que les passages supprimés, remplacés dans le texte par les points de suspensions entre crochets, sont mineurs en regard du texte reproduit. Et pourtant, le premier passage supprimé garantit "le droit de travailler", assure à tout individu le droit de se défendre "par l’action syndicale", inscrit dans la constitution le "droit de grève", et enfin, passage subversif en ces temps de privatisation à outrance, recommande que "tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité". Le second passage supprimé est tout aussi subversif, car il garantit à tous "la protection de la santé" et assure que chacun "a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence" quand sa situation personnelle l’exige. » (1)

Effectivement, ces passages supprimés ne l'ont certainement pas été par manque de place puisque le préambule à la constitution de 1946 reproduit n'occupe qu'à peine plus de la moitié de la page 93. Aussi, Gérard Molina qualifie à raison de "partis pris idéologiques" le contenu de ce « guide » (2). Ce guide ne va certainement pas inciter le lecteur à se poser des questions "incongrues" sur le Traité constitutionnel européen susceptibles de le convaincre à voter "non".

Se voulant consensuel et en prise sur l’actualité, ce « Guide républicain » profite des problèmes rencontrés dans le milieu scolaire et tant évoqués l'an dernier pour en masquer d'autres. Il évoque la question de la laïcité uniquement sous son aspect religieux et tente aussi des réponses au racisme à l'école et ailleurs.

Par ailleurs, ce « guide » nous précise que François Fillon en est l’auteur ce qui est absurde. Dans son épître page 19, l’actuel Ministre de l’Education nationale se présente comme le successeur de Luc Ferry qui a « initié » cet ouvrage. Bon, mais , à part ça ? Qui a souhaité ce livre ? Qui a coordonné et dirigé les travaux ? Qui a arrêté le choix des textes et leur découpage ? Nos ministres et inspecteurs sont d'ordinaire tellement contents de signer un ouvrage même s'ils n'y ont pratiquement pas participé qu’on peut être extrêmement surpris de ne pas trouver d'auteur ou disons de responsable pour celui-ci.

En effet, une partie de ce « guide », intitulée "Abécédaire", est constituée de 29 contributions de "penseurs" contemporains (E.Badinter, M.Halter, T.Ben Jelloun, R.Debray, etc.). Ces textes n’étant pas datés, il est permis de penser qu'ils ont été écrits expressément pour cet ouvrage... ces "penseurs" ont-ils participé davantage à son élaboration ?

Ce « guide républicain » est étrange, bancal: c'est une cote mal taillée. On peut encore se poser d'autres questions :
- Pourquoi avoir dépensé une somme que nous pouvons supposer conséquente pour cet ouvrage qui a été distribué gratuitement aux enseignants dans les lycées et collèges, même s’il apparaît qu'il n'y a pas eu encore beaucoup d'exemplaires distribués ?
- Ce livre n'est pas un manuel scolaire et n'est pas destiné à être mis entre les mains des élèves. Pourtant, on peut lire dans la préface de Fillon, en page 20, que ce guide « permettra aux enseignants et aux élèves d'accéder aisément à la connaissance de notions clés qui fondent l'idée républicaine. » Comment imagine-t-on que les élèves y auront accès puisque la photocopie des textes est théoriquement interdite, ce qui est clairement rappelé au début de l'ouvrage ?

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Notes :

(1) Voir http:www.temoignages.re/article.php3?id_article=7655)

(2) Marianne du 05 février 2005