INTERVENTIONS DES ENTREPRISES EN MILIEU SCOLAIRE

Le cas du CIC avec les « Masters de l’économie »
Remarques sur le jugement du TA de Cergy-Pontoise du 1er juillet 2004
Par Gilbert Molinier, auteur de l'action en justice


Gilbert Molinier
2, rue Rebeval 75 019 Paris
Tél. : 01 44 52 04 93
Professeur de philosophie
Lycée Auguste Blanqui Saint-Ouen (93)
moliniergilbert@noos.fr
http://www.molinier.org/

Paris, le 16 septembre 2004

Madame, monsieur, chers collègues, chers camarades,

Je vous envoie une copie du jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise prononcé le 1er juillet 2004 relatif à l’organisation du jeu-concours Les Masters de l’économie autorisée illégalement par le proviseur du lycée Auguste Blanqui, M. Gérard Stassinet : http://www.molinier.org/TA_lycee/TA_MAST/TAJUGMAS.htm. Ce jugement mérite quelques commentaires. J’attire d’abord votre attention sur le fait que le tribunal administratif a fait un pack de trois affaires, considérant qu’elles étaient liées. On se pose alors la question de savoir les raisons pour lesquelles il n’a pas inclus l’affaire n° 0400691-2, même s’il est vrai qu’elle n’a pas été enregistrée par la même chambre du tribunal : http://www.molinier.org/TA_RECT/TA_CMAST/TARECHSM.htm

I) Le jugement concernant l’affaire des Masters de l’économie (affaire n° 0007594) est sans appel tant il y a de preuves patentes d’illégalité, il rappelle au principe de neutralité et condamne explicitement l’action du proviseur. Il désavoue au passage le rapport de l’inspection générale –Le jeu-concours de la banque CIC- (N° 2000-027, juillet 2000, André Giletta, Michel Roger). Celui-ci concluait un rapport de part en part fantaisiste par ces mots : « Une interdiction pure et simple de ce jeu serait donc excessive et injustifiée au regard des enseignements de l’économie et de la gestion au lycée. ». De la même façon, il condamne le soutien sans faille accordé par le rectorat de Créteil à l’action du proviseur : http://www.molinier.org/TA_lycee/TA_MAST/circ_sg.htm, et celui du Ministère de l’éducation nationale.

II) Il est vrai que le même jugement rejette la requête n°0400327. Mais, ce faisant, le tribunal condamne implicitement le proviseur pour sa mauvaise gestion comptable. J’ajoute que, conformément à l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, ayant valeur constitutionnelle, selon lequel « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. ». En conséquence, tout agent public a le devoir d’établir et de conserver tout document attestant sa gestion. Je rappelle que la plainte en diffamation du proviseur et du proviseur-adjoint du lycée Blanqui s’appuyait sur l’affirmation désormais inconsistante et, plus encore, présomptueuse, que j’aurais attenté à leur honneur en interrogeant leur comptabilité (http://www.molinier.org/TA_lycee/TGI/jug_trib.htm). Je fais ici part de ma surprise persistante qu’au lycée Auguste Blanqui où les élus SNES au Conseil d’administration sont largement majoritaires, ceux-ci ont tout fait pour étouffer cette affaire comme les autres. Quant aux syndicalistes de la CGT ou de FO (dans le même lycée), tout se passe comme s’ils préféraient étudier le mouvement erratique du vol de la mouche drosophile. Vous pourrez constater l’état de délabrement administratif du lycée Auguste Blanqui de Saint-Ouen en vous rendant sur le site : http://www.molinier.org

Il me semble que les instances syndicales nationales, toutes tendances confondues, comme les journalistes, auraient pu, pourraient s’interroger sur le montant global annuel de l’opération « Masters de l’économie » prélevé sur le budget de l’éducation nationale ; les premiers par devoir syndical, les seconds par devoir d’information, les deux par souci du bien public. Enfin, par devoir militant pour les organisations syndicales comme par devoir d’objectivité pour les journalistes, j’espère que ce jugement sera publié dans vos revues ou journaux respectifs avec les commentaires de votre choix.

J’émets une hypothèse : on sait qu’environ 30 000 élèves participent à ce jeu chaque année, ce qui constitue 7500 équipes (quatre élèves + 1 professeur). –parrain. Si l’on imagine que chaque professeur est payé en heures supplémentaires à raison de deux heures par semaine, à 25 euros l’HSE (estimation basse), cela représente une somme de 7500 X 24 X 25 = 4 500 000 euros (somme approximative). Et tout cela pour faire une publicité à un groupe bancaire privé, le CIC ! Tout cela pour qu’une banque se constitue un carnet clients et s’assure une publicité estampillée ministère de l’éducation nationale. On peut donc dire que le MEN sponsorise une banque !

Combien cela représente-t-il de postes de professeurs ? Partant d’un salaire de 2 300 euros (estimation moyenne), cela représente quasiment 2000 postes de professeurs ! On s’étonnera alors que l’action syndicale continue d’être si discrète, d’autant que, comme chacun sait, des jeux-concours de toute sorte occupent les élèves jusqu’à mordre sur leur emploi du temps scolaire (CIC, Caisse d’épargne, Crédit agricole….) Les banques aiment les jeunes ! On s’étonnera encore que les organisations syndicales n’aient pas encore eu l’heureuse idée de mettre en rapport la baisse considérable du nombre d’heures d’enseignement (langues vivantes, lettres, mathématiques, langues anciennes…) et l’augmentation, probablement vertigineuse, du budget consacré au paiement des heures d’éveil à la citoyenneté (TPE…). Ayant de fait accepté la dévalorisation qualitative de leur force de travail intellectuel, comment les mêmes professeurs pourraient-ils s’étonner qu’une dévalorisation quantitative l’accompagne ? On s’étonnera alors que le MEN, interrogé par mes soins donne cette réponse déconcertante : « Aucun contrat de partenariat pour l’organisation de [ce] jeu concours [Les Masters de l’économie] n’est intervenu au niveau de l’administration centrale du ministère de l’éducation nationale. » [1] Il y a pourtant, nécessairement, au sein du MEN quelques hauts fonctionnaires du MEN qui passent des contrats oraux avec de grandes banques, consacrant ainsi la déroute de l’administration. Je laisse à votre imagination et à votre sagacité le soin de la poursuite des spéculations que je ne peux pas encore écrire.

III) Quant au troisième volet du jugement (affaire n°0300992-4 (http://www.molinier.org/TA_RECT/TA_REMB/rec_rect.htm ), il va de soi que j’ai interjeté la décision en appel (Cour administrative d’appel de Versailles-Affaire n° : 04PA03380) http://www.molinier.org/CAA_Rect/CAA_REQ.htm. En attendant la décision des juges du TAA qui interviendra d’ici 200 ?, je m’assois sur près de 6000 euros d’honoraires d’avocat et de frais ce qui représente plus de deux mois de salaire ou environ trente années de cotisation syndicale ! Au cours de l’audience, en présentant ses conclusions, le commissaire du gouvernement a commenté l’action en justice des proviseur et proviseur-adjoint comme ayant été « très probablement suscitée et financée par le recteur ». Il a ajouté que cette action était tout à fait « disproportionnée à l’événement » dans des termes que vous trouverez consignés exactement dans un témoignage : http://www.molinier.org/CAA_Rect/tem_CLev.htm. Cette action en justice ressemble à un traquenard tendu par le recteur de l’académie de Créteil (Cette action était-elle liée à la publication récente de La gestion des stocks lycéens [2] ?). Tout s’est passé comme si on voulait me faire payer cher une action jugée trop téméraire. Toute cette affaire ressemble de plus en plus à un traquenard. Dès lors qu’il « existait d’autres voies » que le tribunal correctionnel, des voies administratives de sanctions disciplinaires que M. le recteur devait utiliser, je suis obligé de reconsidérer l’ensemble de l’affaire d’un œil nouveau.

IV Comme, parmi les lecteurs, on trouvera bien quelques puces excitées par une défense très courte de la laïcité, je rappellerai ces mots que prononça M. François Ascensi, député communiste lors d’un récent débat parlementaire (Laïcité : Le Débat à l’Assemblée nationale. Séances publiques du 3 au 10 février 2004, p. 42). S’adressant à M. le président de l’assemblée, à la mission parlementaire ayant élaboré le rapport, ainsi qu’à M. le ministre, M. Luc Ferry, il dit, sans que cela soulève autre chose qu’un silence gêné :

« Néanmoins, le projet ne fait pas de l’école le sanctuaire respectueux des consciences qu’elle devrait être, à l’abri des intérêts particuliers. Vous pointez tout particulièrement une religion, mais vous acceptez d’accueillir cette année encore dans l’enseignement public « Les Masters de l'économie », le jeu-concours d’une grande banque, le CIC pour ne pas la nommer. (...) Vous prétendez, monsieur le ministre renforcer la neutralité de l’institution scolaire au moment même où vous consentez à y faire entrer l’idéologie boursière. »

Recevez, madame, monsieur, chers collègues, chers camarades, l’expression de mes sentiments laïques.

Gilbert Molinier

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[1] Evidemment, je tiens tout document à votre disposition. Un certain nombre d’entre eux est disponible sur le site Internet : http://www.molinier.org.

[2] G. Molinier, La gestion des stocks lycéens. Idéeologies, pratiques scolaires et interdit de penser, L’Harmattan, 1999.