INTERVENTIONS DES ENTREPRISES EN MILIEU SCOLAIRE


Le désengagement de l'Etat

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Pour comprendre le phénomène des intrusions commerciales dans les établissements scolaires, il est nécessaire d’avoir une vision d’ensemble de l’institution dans le contexte politique et juridique actuel.

    1) En premier lieu, il est important de constater que l’état a abandonné un grand nombre de ses prérogatives en matière d’éducation, dans le cadre de la décentralisation.
    Par la modification des rapports entre l’Etat et les collectivités locales, introduite par la loi « Defferre » de 1982 poursuivie par la loi Chevènement de 1984 et renforcée par la loi sur le statut de la fonction publique territoriale, l’Etat a pu déléguer par exemple la construction et l’entretien des lycées aux régions, des collèges aux départements. Quant aux écoles et à leurs personnels non enseignants (Auxiliaires maternelles, ASEM), ils sont depuis toujours à la charge des communes.
    Le ministère de l’éducation nationale affirmait en 1998, que « l’éducation est une mission partagée », mettant ainsi en place les contrats éducatifs locaux (CEL). Il s’agit pour les collectivités locales d’élargir leur champ d’intervention, dans le cadre « des temps scolaires, péri ou extra scolaire », pour les domaines d’activités culturelles et artistiques. Associations, collectivités, familles, entrent dans le dispositif des CEL.
    Enfin la décentralisation accroît l’autonomie des établissements, collèges et lycées, en les dotant d’une personnalité morale et d’une apparente autonomie pédagogique et éducative formalisée dans un projet d’établissement, d’une autonomie budgétaire et gestionnaire, soumises à des règles sous la tutelle de l’état.
    La loi Voynet de 1999 précise, dans le cadre de la décentralisation, les conditions de modernisation des services publics afin d’éviter leur disparition d’un territoire sans l’accord du gouvernement. Cette loi ouvre la création de « Pays », « communautés d’intérêts économiques et sociaux, centrés sur un projet, l’innovation et le partenariat entre acteurs publics et privés ».

    Par la modification de la Constitution en mars 2003, l’organisation de l’état est décentralisée. Cependant, en matière d’éducation, la Constitution maintient « l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés. » à la charge de l’Etat et ne lui permet donc que d’organiser un système de « compétences partagées » au lieu du de procéder à un transfert par blocs de compétences.

    A travers le Ministère de l’éducation nationale, les rectorats et les inspections d’académie, l’Etat conserve à ce jour des compétences partielles en matière de recrutement du personnel enseignant, d’orientation pédagogique, de programmes, de diplômes, de gestion des carrières…

    De plus en plus, les collectivités locales sont tentées de demander un élargissement de leurs compétences dans le domaine de l’éducation, ainsi que le transfert des budgets afférents. C ‘est ainsi qu’elles souhaitent obtenir la responsabilité des constructions universitaires, l’offre de formation dans l’enseignement supérieur et, celle pleine et entière, de la formation professionnelle pour laquelle l’Etat conserverait cependant encore la responsabilité de l’accueil des publics en difficulté (rapport Périssol).
    Quel souci de cohérence guiderait les collectivités locales ou territoriales dans ces nouvelles responsabilités ? le principe de garantie des missions de service public, ou bien l’intérêt des partenaires sociaux économiques ?
    La question du maintien des services publics peut se poser ainsi : L’Etat ne finançant plus certaines de ses missions et ne transférant pas les crédits correspondants - puisque le but recherché est de faire des économies sur le budget de l’Etat - les collectivités y pourvoiront-elles et dans l’affirmative où trouveront-elles d’autres sources de financement ? ou alors les abandonneront-elles ? Dans quelle mesure ce premier transfert des compétences partagées ne favoriserait pas les rapprochements (ou partenariats ?) soucieux de répondre en priorité à la demande économique des bassins d’emplois ?

    2) C’est dans un deuxième temps, au regard du désengagement de l’Etat que l’on peut poser le problème des intrusions commerciales, et plus largement celles d’ordre privé.

    Il est possible de partir d’un exemple assez concret pour illustrer cette question. L’utilisation de documentations, appelées kits pédagogiques et réalisées par des entreprises privées, est un moyen auquel certains enseignants peuvent avoir recours, pour illustrer leurs cours. Il est fait état du manque de moyens publics dans ce domaine, ainsi que l’aspect attractif de ces outils, pour justifier leur utilisation. Daniel Rallet, secrétaire national du SNES, admet que dans cette circonstance « on finit par ne plus voir ce qui est admissible et ce qui ne l’est pas » (1). C’est ainsi qu’il n’est pas improbable de voir les marques entrer dans les écoles, sur les brochures dites pédagogiques, dans les manuels scolaires, ou sous forme d’affiches

    S’il est logique pour une entreprise de chercher à pérenniser sa production à travers ses marques, il est aussi tentant de s’approprier un public facilement captif afin de créer des habitudes de consommation dès le plus jeune âge, d’où la nécessité de toucher un public jeune, c’est à dire les élèves. Production de kits pédagogiques, sponsorisation de petits déjeuners diététiques (Nestlé) dans certaines écoles du Morvan, organisation de jeux concours tels ceux du groupe bancaire CIC, du crédit agricole, de TF1 pour ne citer que les plus connues et pour lesquels certaines entreprises n’hésitent pas à consacrer des budgets conséquents.

    Mais les intrusions sont-elles seulement commerciales ?

    C’est au-delà de la simple séduction commerciale qu’apparaissent certaines intrusions.

    En effet, comment la logique d’introduction de la marque peut-elle être séparée de sa légitimité à être, de l’esprit de l’entreprise qui l’anime ?
    Un exemple très simple est celui des « Masters de l’économie ». La banque CIC, depuis plusieurs années, offre aux élèves des établissements scolaires la possibilité de participer à un jeu concours sur Internet consistant à faire fructifier un portefeuille d’actions fictif, sous la responsabilité d’un parrain. Le portefeuille est fictif, certes, mais il fonctionne d’après des valeurs boursières et leurs fluctuations réelles.

    Dans un premier temps, la marque CIC est intégrée par l’élève.

    Dans un deuxième temps, c’est l’idéologie boursière qui est transmise, sans le recul critique qu’implique le processus pédagogique d’un cours.

    Or, où est la place des questions sociales qui ne manquent pourtant pas de se poser dans cette logique de profit à court terme ? Il s’agit d’un jeu dont l’enjeu est le gain d’un séjour d’une valeur non négligeable, le CIC (et non l’enseignant) offre des conseils prétendus « pédagogiques » permettant à l’élève d’accroître ses chances de gagner. Du point de vue du CIC l’encouragement à boursicoter est normal puisque la banque a vocation de faire du profit pour sa survie et celle de sa clientèle dans un contexte économique libéral. C’est pourquoi elle n’a nullement intérêt à ce que soient explicités aux élèves les mécanismes boursiers et leurs conséquences sociales.
    Une circulaire du 12 décembre 1989 rappelle pourtant : « A l’école, où se retrouvent tous les jeunes sans aucune discrimination, l’exercice de la liberté de conscience, dans le respect du pluralisme et de la neutralité du service public, impose que l’ensemble de la communauté éducative vive à l’abri de toute pression idéologique ou religieuse. »
    Pourtant, l’Etat, dans le cadre de la redistribution de ses responsabilités, vient de permettre récemment que de telles pratiques puissent avoir lieu. En publiant une nouvelle circulaire, en avril 2001, suite à la demande de l’association Attac et du syndicat enseignant le SNES pour lutter contre ces intrusions commerciales, le Ministère de l’Education nationale ne fit que légitimer ces interventions. Suite à notre contestation et notre demande par courrier de justification pour l’organisation du jeu du CIC « Les Masters de l’économie » il nous répondit : « […] certains chefs d'établissements publics locaux d'enseignement (EPLE) ont pu, avec l'autorisation du conseil d'administration, signer avec cet organisme bancaire des conventions de partenariat.
De telles conventions s'inscrivent dans le cadre de la circulaire n° 2001-53 du 28 mars 2001 relative au code de bonne conduite des interventions des entreprises en milieu scolaire, qui fait l'objet d'une publication au Bulletin officiel du ministère de l'éducation nationale n°14 du 5 avril 2001. »
...

    En allant plus loin , toujours dans le contexte de la décentralisation, alors que les objectifs d’une politique nationale se distendent, on peut remarquer une autre forme d’intrusion idéologique. Les Conseils régionaux peuvent définir leurs priorités quant à leurs réflexions dans le domaine éducatif :

    - nous pouvons ainsi voir s’ouvrir des chantiers régionaux tels « les écoles entreprises milieu pour la persévérance scolaire », pour citer un exemple. Ce sont les partenaires sociaux économiques en relation avec les représentants de l’administration scolaire qui vont définir les moyens et le cadre dans lesquels ils pourront stimuler les compétences et les valeurs. Au départ sont mis en avant ce qui peut paraître la meilleure intention du monde : l’encouragement au travail, à la persévérance, l’aide au travail et aux projets, liés à l’esprit d’initiative. Bonne idée en soi mais que devient-elle quand il s’agit non plus de l’initiative pour s’instruire mais du vocabulaire emprunté au monde de l’entreprise, l’initiative pour faire du profit ?

    - on peut aussi citer un partenariat entre le conseil général de la Creuse et une entreprise privée commerciale « exam.fr » afin de mettre en place un dispositif de soutien scolaire par Internet, en lieu et place des enseignants dont on supprime les postes.


    C’est donc à cause du désengagement de l’Etat, des possibilités de partenariats offertes par la nouvelle autonomie des établissements, de la réorganisation des structures publiques et du manque de vigilance des élus, citoyens, parents, enseignants, que le contenu intrinsèque, la valeur et la substance même de l’enseignement public peuvent s’altérer. On ne parle plus d’ « élèves » mais d’ « apprenants » ou de « jeunes » (vocabulaire de la FCPE) ; on ne parle plus de « savoirs » ni d’ « esprit critique » mais de « compétences » et d’ « esprit d’initiative ». Nous assistons là à des changements profonds qui nous demandent de réfléchir aux conséquences à moyen et long terme pour notre pays, dont il est bon de rappeler qu’il est une république indivisible, laïque démocratique et sociale.



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